Il y a 150 ans, la Commune de Paris
Au moment de la Commune de Paris, dont nous commémorons cette année le cent cinquantième anniversaire, le demi-frère de Violet Paget (Vernon Lee), Eugene Lee-Hamilton (6 Janvier 1845 – 9 Septembre 1907), qui était entré au Ministère des Affaires Etrangères britanniques l’année précedente après avoir quitté Oriel College (Université d’Oxford) en 1869, est attaché à l’ambassade britannique à Paris. Ainsi que le précise Harvey T. Lyon:
He received his orders on February 18, 1870 -orders which have the informal charm of a diplomatic day now surely dead for ever: “Lord Clarendon thinks that you would suit H[is] M[ajesty’s Embassy at Paris very well and hopes that H. M. E. at P[aris] will equally well suit you.” Accordingly, the twenty five-year-old Lee-Hamilton proceeded to Paris, arriving just in time to be a spectator of the Franco-Prussian War. (Harvey T. Lyon, “When Paris was in Flames: Gleanings from the Letters of Eugene Lee-Hamilton”, Colby Library Quarterly, series 4, no.4, November 1955, p.73-78. Retrieved from http://digitalcommons.colby.edu/cq)
Le jeune homme de 25 ans est envoyé à Paris auprès de l’ambassadeur britannique, Lord Lyons.


A ce titre, il est non seulement témoin de la guerre Franco-Prussienne, du Siège de Paris, de la déposition de Napolélon III et de la proclamation de la IIIème Réublique suite à la capitulation française, de la Commune de Paris et de sa répression sanglante, mais aussi traducteur des dépêches échangées entre les grandes puissances en conflit et leurs diplomates pendant toute la durée des hostilités.
Durant ces événements, Eugene Lee-Hamilton envoie lettres et télégrammes datés de Paris, Tours, Bordeaux ou Versailles au gré des déplacements de l’ambassade, donnant des nouvelles à sa mère Matilda Paget et prodigant des conseils de lecture, des récits de ses visites du musée du Louvre ou de ses promenades et autres anecdotes divertissantes à sa demi-soeur, Violet, de dix ans sa cadette. Les lettres présentées ici et les télégrammes (non disponibles) d’Eugene Lee-Hamilton sont envoyés en Italie, au gré des déplacements de Violet et sa mère.


Avec l’autorisation et le soutien des archives Vernon Lee, Colby College (USA), voici une partie de sa correspondance familiale datant de cette période troublée.
Ces lettres et une lettre de Violet à son père, Henry Paget, complétée de la main de Matilda Paget, sont à découvrir dans la collection “De la guerre de 1870 à la Commune de Paris” sur Holographical-Lee (HoL)
Vernon Lee (Violet Paget) : Letters, notebooks and manuscripts – Lettres, carnets et manuscrits. Pour accéder aux images et aux transcriptions complètes de ces documents exceptionnels, cliquer sur chacun des liens ci-dessous.
Violet Paget envisageait d’écrire une biographie de son frère et avait rassemblé sa correspondance en 1919. Dans son travail d’inventaire, il arrive qu’elle annote les lettres de son frère.

Les lettres d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur sont rédigées en français, tandis que c’est en anglais qu’il adresse à “my little darling” (sa mère) des lettres qui traitent de l’actualité brûlante dont il est le témoin et l’acteur auprès de l’ambassadeur de la Grande-Bretagne en France.
Selon Harvey T. Lyon dont l’article cité dresse l’inventaire et contextualise les lettres d’Eugene Lee-Hamilton datées de la guerre de 1870 et de 1871, “The war was barely a month old when the Germans had defeated two French armies and had trapped a third, the largest of them all. Lee-Hamilton’s account begins with his letter dated August 17, 1870:
“Paris is still perfectly quiet. But we are utterly without news. It is quite incomprehensible. There must have been a great battle the day before yesterday, yet we hear nothing.”
August 26, 1870. “There is no longer any doubt. The Prussian Army is advancing on Paris. The Parisians were told so this evening by the Government, and the fact is fully confirmed in every way. What will be the resistance made I know not- the event will show…. The Prussians would scarcely stake their cause on such an enterprise if it were a hopeless one.”
August 31. -The Government seems to expect a siege, as one order after another respecting it, appears on the walls. Today it is an order for the demolition of all houses in a certain zone round the fortifications. It is melancholy to see the number of waggons coming into Paris laden with furniture…. I have been employed the whole morning at the Prefecture de Police in getting out a man … imprisoned by mistake…. The French see spies and Prussians in everyone….”
Lettre alarmante dont le ton contraste avec la légèreté feinte avec laquelle il s’exprime dans la lettre envoyée le même jour à sa soeur… “Cette guerre tourne la tête à tout le monde.”
Paris, 31 Août 1870 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Ayant appris la capture de Napoléon III à Sedan, les républicains de Lyon, Marseille et Paris prennent le pouvoir et le 4 septembre 1870, ils proclament la République: la IIIème République.
“September 5.-We shall remain here as long as possible. And perhaps even in case of the Prussians storming we shall remain. The Embassy is out of reach of shells, being in the very center of Paris. I hear there has been some fighting in the neighbourhood. The Prussians are within a walk of the Fortifications, and we have distinctly heard the blowing up of the bridges round Paris. Paris itself presents a curious appearance. Enormous numbers of Gardes Mobiles are being drilled in the Champs Elysees, many of the streets are turned into regular camps, and the Tuileries are used as a Cavalry camp. Every man is in uniform, and Paris seeins to have really made up its mind to perish rather than be taken.” (ELH quoted in Harvey T. Lyon, art. cit.)
Le 19 septembre 1870, Paris est encerclé. Le gouvernement se réfugie à Tours, suivi par l’ambassade britannique.” Le Siège de Paris devait durer tout l’hiver, jusqu’au 28 janvier 1871.
September 18, 1870.-Events have succeeded each other with such astonishing rapidity that one has become familiarized with the marvelous, and it loses its power on the mind. But when one places oneself in the position one was in before the war, just two months ago, it
seems incredible. The French Army utterly annihilated, 140,000 French with fifty generals Prisoners in Germany, the Emperor a prisoner and dethroned, the Republic established, Paris besieged, and the British Embassy at Tours! (ELH quoted by Harvey T. Lyon, art. cit.)
Les lettres datées d’octobre 1870 sont de plus en plus acerbes. Le “gouvernement de la Défense nationale” présidé par le général Louis Trochu, gouverneur militaire, “délègue le député Adolphe Crémieux à Tours en vue de prendre en main les zones encore libres. Mais le généreux septuagénaire se révèle vite insuffisant à la tâche et la situation s’aggrave le 19 septembre avec l’encerclement de Paris par les troupes ennemies.” (Alban Dignat, Hérodote, 4 Septembre 1870, Proclamation de la IIIème République)
October 17, 1870.-The utter disorganization of this miserable country is evident in every department of public life; and yet, strange to say, never has the French tendency to organizing been more apparent. … The English are getting more and more hated, as the French say we are looking on while France is murdered.
Le 27 octobre, Bazaine capitule à Metz.
October 31.-The news of the capitulation of Metz was only published here (Tours) yesterday though we had known it for four days. It was made known in the proclamation … which is only the last of a series of inflated and mendacious productions of the same sort. … I am sorry I have not kept … all the proclamations which have appeared from the beginning of the War; they would … have formed a very lucid history of it, as well as a record of impotence and humbug.“
En novembre, Eugene Lee-Hamilton nourrit l’espoir d’une permission auprès de sa famille qui a voyagé en Italie. Il écrit à sa soeur, évoquant ses projets littéraires.
Tours, 11 Novembre 1870 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Eugene manque de temps pour lui écrire, car “les lettres que je t’écris sont en général purement des épîtres de luxe. Nous ne nous entretenons que de philosophie, de littérature et d’art.” Il a reçu un article de l’Edimburgh Review, est déçu que le sien ne soit pas encore publié. Son entourage est ennuyeux mais il a beaucoup de travail. Il rêve des 2 mois de permission qu’il va passer à Rome auprès de sa soeur et sa mère, séjour qu’il entend mettre à profit pour apprendre l’Italien. Il engage Violet à faire de même. L’anecdote au sujet du chien de l’ambassadeur semble évidemment destinée à dérider Violet et sa mère.
Tours, 15 Novembre 1870 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Très impatient de tout voir et tout étudier à Rome, Eugene s’efforce d’approfondir sa connaissance des arts, chose impossible durant ses études à Oxford et encourage Violet à faire de même. Il a lu Ampère, Gibbon, Corinne et veut connaître les termes techniques, styles et détails de l’architecture, la sculpture, l’histoire de l’art. Il lit la Grammaire des arts du dessin et engage Violet à faire une lecture similaire.
En décembre, le gouvernement et l’ambassade se déplacent plus au Sud, en zone libre, et, de Tours, s’installent à Bordeaux.


Pendant ce temps, “Deux millions d’habitants, de réfugiés et de soldats se voient pris au piège à l’intérieur des 33 kilomètres de fortifications érigées sous l’égide d’Adolphe Thiers trente ans plus tôt. 16 forts ceinturent Paris. … Paris se voit encercler par 400 000 soldats ennemis. Ceux-ci coupent les voies ferrées et sectionnent le câble télégraphique qui emprunte le lit de la Seine. Les assiégés ne peuvent plus communiquer avec l’extérieur que par pigeons voyageurs et ballons dirigeables.” (André Larané, “19 Septembre 1870-28 Janvier 1871: Le Siège de Paris”, Hérodote).
Paris affamé capitule le 28 Janvier 1871. Le gouvernement de défense nationale, réfugié à Versailles, signe l’armistice. Les Prussiens défilent dans Paris endeuillé le 1er mars 1871.
A Bordeaux, Eugene Lee-Hamilton assiste aux réunions mouvementées de l’Assemblée Nationale, et en témoigne dans une lettre datée du 4 Mars 1871.
BORDEAUX “March 4, 1871.-I was present at the sitting of the assembly yesterday. Imagine a very large Opera House lit up with gas though it is the afternoon. The whole of the pit … consists of closely packed Deputies, each apparently making a speech on his own account, and foaming slightly at the mouth. On the stage which is hung with red cloth a tribune has been erected, from which a Inember is addressing the Assembly which doesn’t listen to him. Above the Speaker in a sort of box over the tribune, is the President ringing a brass bell and crying “Faites silence, Messieurs!” But no one takes the least notice of him…. Near the stage … you can distinguish Victor Hugo, with a silvery beard…. The President at length obtains a sort of silence, during which he reads out a letter from Rochefort and three
other irreconcilable deputies … tendering their resignation, as they will no longer sit in an Assembly which has “sold France to the Prussians.” At this there is a tremendous tumult; the right shout “Bon voyage!” and the left shake their fists and gnash their teeth, while the President rings himself black in the face…. The most melancholy feature of the whole position is perhaps that M. Thiers, although commanding a large majority in the Assembly, is the only man of marked ability, patriotism and good sense in France; and he by his age belongs to a past generation.” (ELH quoted in Harvey T. Lyon, art.cit.)
C’est Thiers qui conduira les négociations de paix avec Bismarck; le traité de Francfort sera signé le 10 Mai 1871. L’amertume est immense.
En mars 1871, le gouvernement refuse de revenir à Paris et s’installe à Versailles: une provocation pour les Parisiens. “Abandonné par la République, Paris s’en remet à des militants jacobins nostalgiques de la Grande Révolution (celle de 1789), à des anarchistes, des socialistes et des utopistes. Pris de court par le vide du pouvoir, ces militants au nombre d’une trentaine se réunissent dans la plus grande confusion à l’Hôtel de ville. … Ils organisent des élections municipales le 26 mars… La Commune est … proclamée dans la foulée des élections le 28 mars 1871. Elle est représentée par une assemblée de 79 élus et son nom fait référence à la Commune insurrectionnelle qui renversa la royauté le 10 août 1792.
La capitale doit dès lors supporter un deuxième siège, non par les Prussiens mais par l’armée française. Il s’achèvera dans la tragédie, avec la Semaine Sanglante, deux mois plus tard.” (Hérodote, art. cit.)
L’insurrection prend les proportions d’une guerre civile mettant aux prises les forces versaillaises (gouvernementales) et les insurgés.
Pendant ce temps, en Italie… La lettre à Henry Paget ci-dessous témoigne à la fois des efforts de Violet pour aborder des sujets habituels et anodins et des angoisses de Matilda au sujet de la réalité de la situation d’Eugene, rappelé à Paris par l’ambassadeur, et de la famille. Les raisons du voyage de la mère et la fille de Vérone à Salzbourg sont inconnues.
Rome, 15 Mai 1871 – Lettre de Violet Paget (Vernon Lee) et Matilda Paget à Henry Ferguson Paget


Au Teatro Valle, installée en face de la Princesse, du Prince Pallavicini et de son épouse, Violet a vu la comédie en vers “Nella lotta d’Amore vince che fugge”, très bien jouée, avec Tessero Guidone et Zerri. Pièce suivie d’un compliment à la Princesse et d’un drame en 4 actes, “Le Glacier du Mont Blanc”, “the most ridiculously stupid piece imaginable”.
Dans la marge, Matilda écrit à son mari, Henry Ferguson Paget. Elle détaille son plan de voyage jusqu’à Salzbourg. Elle s’inquiète du départ d’Eugene “tomorrow morning at 10 or 11 a.m.”, rappelé à Versailles par Lord Lyons en l’absence des autres employés de l’ambassade, restés à Paris. Elle a rendu visite à Mrs Foljambe et rencontré Mrs Ramsay traductrice de Dante et sa soeur.
Les lettres qui suivent sont un journal éloquent des événements tragiques de la Semaine sanglante.
Versailles, 22 Mai 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa mère Matilda Paget

De retour en France après sa permission à Rome, Eugene Lee-Hamilton traverse la France pour rejoindre Versailles, où l’ambassade a été transférée à cause des événements. Il voit pour la première fois des soldats prussiens à Dijon et brosse leur portrait, très différent de celui des soldats français. Il découvre son logement dans les appartements de l’ambassadeur, Lord Lyons. “I have arrived on time for the great dénouement, it seems.” La bataille fait rage aux portes et dans Paris. Se font face l’armée de Versailles et les Insurgés, qui “bombardent” depuis Montmartre. Les prisonniers Communards sont extrêmement nombreux. Leur portrait: ce sont de pauvres gens. Il donne des conseils d’itinéraires à sa mère pour aller de Vérone à Salzburg.
Versailles, 23 Mai 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa mère Matilda Paget

Eugene décrit Paris vu du point de vue de Meudon. L’armée de Versailles est entrée dans Paris, en causant des dégâts considérables. Deux semaines de bombardements ont causé une ruine indescriptible autour des remparts de Paris, comparable avec les ruines de la Rome antique. La bataille fait rage dans Paris. Le drapeau rouge flotte encore sur le Louvre. Les Prussiens ont bombardé Paris tout l’hiver depuis le Château de Meudon, aujourd’hui éventré. La lutte de la Commune est désespérée. Selon Thiers, les 2/3 de Paris sont reconquis, l’assaut final est pour “this morning at daybreak”. Il faut s’attendre à un carnage. Les prisonniers sont très nombreux: 10 000, dont beaucoup de femmes. Les événements de Juin ’48: “a child’s play compared to the present insurrection and suppression”. Nostalgie des jours passés avec sa mère et sa soeur. Versailles et son parc. Les loyers trop coûteux pour trouver un autre logement. Horaires de train Vérone-Salzbourg.
Versailles, 24 Mai 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa mère Matilda Paget

Depuis Versailles, Eugene décrit Paris dévasté. Le Louvre, les Tuileries, le Ministère des Finances, la Cour des Comptes brûlent, la Madeleine est bombardée. Il y a de gros dégâts matériels à l’ambassade, un boulet a pénétré dans l’appartement d’Eugene. Lord Lyons se rend à Paris. Montmartre a été emporté hier “at the point of the bayonet”. La bataille est terrible aux Champs Elysée entre la batterie des Insurgés disposée à la Concorde et celle des Versaillais à l’Arc de Triomphe. Les Insurgés tiennent Bicêtre et Montrouge mais sont refoulés peu à peu. Les Légitimistes, comme M. de Lespérut, espèrent à tort “a speedy restoration” mais Thiers a conclu une alliance avec les Républicains et perdu la confiance de l’Assemblée. “Now that the Commune is on the point of giving up the ghost, Civil war appears likely to break out between the parties who were first united by the pressure of the Prussian invasion, and next by the outbreak of the Socialists.” Versailles et ses agréments, mais Eugene Lee-Hamilton s’ennuie dans ce lieu où “Everything is redolent of the old French monarchy”.
Versailles, 25 Mai 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa mère Matilda Paget

Les Tuileries, l’Hôtel de Ville, toute la Rue de Rivoli, le côté gauche de la Rue Royale entre la Rue St Honoré et la Madeleine, la Préfecture de Police, la quasi totalité du Palais Royal, la Sainte Chapelle, le Conseil d’Etat, la Cour des Comptes, le Palais de la Légion d’Honneur ont brûlé, les Insurgés ayant répandu du pétrole sur les bâtiments publics à mesure de leur retrait. Un énorme nuage de fumée flotte sur Paris. Les maisons particulières ont aussi brûlé, et la Bibliothèque du Grand Louvre est détruite. Eugene joint la lettre reçue de Mrs Jenkin; il exprime ses regrets d’être séparé de sa mère et sa soeur. Il nage et marche tous les jours à Versailles. Il s’attend à la guerre civile: “Now that the Communists are crushed the several Parties in the Country must fall out. And the burning question of Republic or Monarchy must now be settled.” Les Insurgés continuent à envoyer des bombes incendiaires depuis Belleville, où les troupes seront envoyées demain.
Versailles, 27 Mai 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Paris est en flammes, spectacle épouvantable. Les Tuileries sont entièrement détruites. Eugene songe: “tout peut périr avec une rapidité effrayante”. Paris est en ruines, comme le palais des Césars. C’est “un monde qui s’écroule”. Promenades dans le Parc de Versailles avec M. de l’Espérut. Espoir de s’y rendre avec Violet l’an prochain.
Versailles, 28 Mai 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa mère Matilda Paget

Eugene a reçu un télégramme d’Alfred Turner inquiet du sort de son frère et son oncle hospitalisés à la Maison de Santé d’Ivry, suite au bombardement du Fort d’Ivry. Il s’est déplacé en voiture de Versailles à Ivry, un déplacement de 6 à 7 heures, qui lui permet de donner des nouvelles rassurantes des parents d’A. Turner mais aussi de faire le constat amer de la destruction des villages par les Prussiens durant le Siège de Paris: “The destruction is indescribable.”
“Le bilan total de la Semaine sanglante est d’environ 20 000 victimes, sans compter 38 000 arrestations. C’est à peu près autant que la guillotine sous la Révolution.
À cela s’ajoutent les sanctions judiciaires. Les tribunaux prononceront jusqu’en 1877 un total d’environ 50 000 jugements. Il y aura quelques condamnations à mort et près de 10 000 déportations (parmi les déportées qui rejoindront les bagnes de Nouvelle-Calédonie figure la célèbre institutrice révolutionnaire, Louise Michel). L’amnistie (pardon et oubli) ne viendra qu’en 1879 et 1880.” (André Larané, “28 Mai, fin de la semaine sanglante”, Hérodote)
Versailles, 3 Juin 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Eugene raconte à sa soeur une anecdote amusante à propos d’une scène de la vie quotidienne à Versailles. Il va envoyer son roman à Violet et regrette qu’elle envisage d’abandonner son propre roman Gabriele et Chicco. Il l’encourage dans sa préparation d’un ouvrage sur Métastase.
A sa mère, il confie:
“June 6, 1871.-I spent two or three hours in Paris yesterday…. When I arrived at the Madeleine … I understood the terrible catastrophe that has happened to Paris. The greater part of the Rue Royale was gone. I could not believe my eyes. I looked in vain for the entrance into the Faubourg St. Honore…. I looked up the Rue Castiglione and saw the wretched pedestal of the Colonne Vendome, but no column. Of the Tuilleries there remains a sort of outer shell, but you can look through it like the coliseum, and the fine central dome has disappeared. Altogether the walk was inconceivably dismal.“
Versailles, 9 Juin 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Eugene est consigné sur place. Il est à la recherche des livres demandés par sa soeur sur Métastase et Sacchi. Mme Blaze de Bury, romancière autrice de Love the Avenger, l’intrigue. Les Français, peuple “le plus puéril du monde, tout en étant le plus spirituel.” Leur vanité a dicté le télégramme disant “Paris est magique, régénéré, antique”… juste avant sa capitulation. “La trahison de Jules Favre est à l’ordre du jour. Hier c’était Ollivier, demain ce sera Thiers.” Eugene Lee-Hamilton est seul à Versailles comme un “chargé d’affaires sans affaires”. “Toutefois si quelqu’un s’avise de me demander où est l’ambassade d’Angleterre, je lui répondrai très gravement à la Louis XIV : “L’ambassade d’Angleterre c’est moi”.
Paris, 31 Octobre 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Eugene a découvert le nouveau Musée du Louvre: le musée des statues modernes. Il exprime son admiration pour “Cupidon et Psyche” de Canova. Description des statues de bronze au Musée des bronzes (Louvre). De nouvelles relations en perspective grâce à M. de Castillon. Amitié de Montigny. Regrets de ne pas partager la visite de Violet à Parme, Milan et Bologne.
Paris, 17 Novembre 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Eugene se plaint de recevoir trop peu de lettres de sa soeur, s’enquiert de ses études et leçons de piano. Il a rendu visite à Mrs Turner et Ruffini et décrit la perruque de ce dernier. Passe un moment avec Alfred Turner, passionné de métaphysique. Visite des cousines et mariage d’Arthur.
Paris, 17 Decembre 1871 – Lettre d’Eugene Lee-Hamilton à sa soeur Violet Paget (Vernon Lee)

Anecdote du café renversé à trois reprises dans trois lieux différents et conseil: ne pas boire de café noir !
L’humour, la légèreté de telles anecdotes sont-ils une sorte de voile pudique, et diplomatique, jeté sur le drame historique épouvantable qui s’est déroulé sous ses yeux dont, en tant que diplomate, il ne pouvait rien révéler? Ou, comme semble le croire Harvey T. Lyon, un signe d’indifférence envers la misère humaine, bien loin des émotions, de l’empathie, de l’engagement du futur poète?
Pour Harvey T. Lyon, rien ne laisse deviner le futur poète dans ces lettres: “although usually intelligent, often incisive, sometimes vivid, (they) almost nowhere show sympathy, the sense of involvement, the color and sparkle of detail, of a budding poet“. “Until his collapse into paralysis in 1873, Eugene Lee-Hamilton was no poet. … Eventually, as a poet, he penetrated far beneath the surface of his prose personality, but the conflict in him-Pecksniff versus poet-was never resolved.” (Harvey T. Lyon, “When Paris was in Flames: Gleanings from the Letters of Eugene Lee-Hamilton”, Colby Library Quarterly, series 4, no.4, November 1955, p.73-78. Retrieved from http://digitalcommons.colby.edu/cq)
Epilogue
“A year later, Eugene Lee-Hamilton received orders to accompany Lord Tenterden to Geneva, to assist in the arbitration proceedings over the “Alabama” dispute between Great Britain and the United States (…)”.

Mais on peut se demander si cette nouvelle mission lui permit véritablement de “turn his back upon the sad spectacle of Paris in ruins,” lui, jeune homme expatrié appartenant à une famille transnationale…
La mission de Paris et celle de Genève seront ses deux seules missions: en 1873, alors que sa promotion l’appelle à Lisbonne, il s’effondre. Ne s’est-il donc vraiment rien passé pour lui durant ces trois années ? Paralysé par une forme sévère d’hystérie, il ne se relèvera –littéralement– qu’après la mort de son beau-père, Henry Paget (1894) puis de sa mère (1896).


