Le Don Juan fidèle dans “La Vierge aux sept poignards” de Vernon Lee, par Alice Mussard

Le Don Juan fidèle dans « La Vierge aux Sept Poignards » de Vernon Lee

ou la dé-figuration d’un mythe

Alice Mussard

Université de la Réunion

La littérature regorge de ces serial-séducteurs peu scrupuleux qui ont fait de la séduction, bien plus qu’un art, leur mode même d’existence. La liste de ces beaux[i] serait probablement de mille et trois, aussi longue que celle de leurs conquêtes, en viendrait-on au répertoire exhaustif d’un Cœur dévoilé (Rétif de la Bretonne, 1787). Parons donc au plus (em)pressé. En bonne place parmi les figures les plus reprises de l’homme à femmes se trouve le vénitien Casanova[ii], insatiable épicurien du moment que prévaut la condition du moindre effort, éternel jouisseur du plaisir facile d’accès, séducteur accidentel : en un mot, l’anti-don juan[iii]. Car la philosophie de vie de son cousin espagnol, auquel nous allons nous intéresser ici, lui est fondamentalement opposée. Don Juan[iv] ne trouve le plaisir que dans la trépidation de l’exploit et, pour relever les défis les plus irréalisables, l’homme de toutes les missions impossibles ne ménage pas sa peine. A lui seul, cet homme à femmes a fait couler beaucoup d’encre[v]. Et partout, on trouve une certaine constance, sinon en l’homme, du moins dans le mythe. A la seule évocation de son nom l’on entend bruire le feu de l’ardeur, crépiter la flamme du désir, et crisser, sous la botte cavalière, les pavés de l’enfer. «‘Je suis Don Juan et je ne serais plus rien si je devenais un autre. Mieux vaut être ce que je suis dans un abîme de soufre qu’un saint dans la lumière du paradis’» (Grabbe dans Brunel, 1988 : 485). Un saint dans la lumière du paradis, Saint-Patron de la fidélité… Voilà un éclairage peu banal et bien improbable pour ce vieil habitué des antichambres. C’est pourtant précisément cette rédemption inespérée qui attend la version leeienne d’un libertin capable de correction – aux deux sens du terme – à l’endroit même où la chute de la nouvelle consiste non en un dérapage inéluctable dans les flammes de l’enfer, mais en une élévation spectaculaire, après que Don Juan est mort en odeur de sainteté. Partant naît un modèle de vertu canonisé : le Saint Don Juan.

Comment procède l’absolution d’un séducteur incorrigible lorsque la reconversion de l’Infidèle par excellence renie la quintessence même du donjuanisme? Du beau-parleur dont les mots sonnent creux à l’homme du serment dont la parole vaut de l’or, comment Vernon Lee se réapproprie-t-elle ce mythe séculaire et à quels desseins voue-t-elle son récit? Le protagoniste leeien n’est-il enfin qu’une contrefaçon ?

A travers l’esquisse que « La Vierge aux Sept Poignards » (Lee dans Geoffroy-Menoux, 2001) brosse d’un antipathique womanizer, nous reconnaissons bien un avatar conforme à l’idée que nous pouvons nous faire du Don Juan type. Dans la nouvelle leeienne, le portrait de ce conquérant effréné se fait jusque dans le choix du genre littéraire qui accompagne le héros dans ses tribulations : le fantastique prête main forte au séducteur dans la résurrection d’une morte à conquérir. Cependant, le genre ne fait pas que desservir les ambitions démesurées d’un personnage mégalomane. Il officie également pour littéralement – et littérairement – mettre à mort la figure classique de l’inconstant, et confronter l’homme frivole et volage à sa propre image destituée. Subséquemment se met en route l’engrenage grinçant d’un processus de dé-figuration. Seront en conséquence développés dans la seconde partie de notre analyse les thèmes de la douleur et de la décapitation, ainsi que la remise en question identitaire et idéologique qui les sous-tend. Pour finir, nous montrerons comment la récriture du mythe permet à Vernon Lee de signer une version féministe de l’aventure donjuanesque. L’équilibre du rapport homme-femme est rétabli dans une nouvelle qui entremêle les genres les plus disparates sous couvert du récit hagiographique.

I- Un anti-héros archétypique

Parmi mille et trois Don Juan, celui que nous présente Vernon Lee se conforme à l’image que l’on est en droit d’attendre d’un « grand seigneur méchant homme » (Molière, 1994 [1665] : 25). Le caractère bassement vénal de cet homme de haute lignée émerge dès la première mise en scène du personnage et vient parasiter jusqu’à l’espace solennel de la prière. Intéressons-nous donc de plus près aux propos donjuanesques et à ce que le séducteur laisse transparaître de lui-même à travers la question de son éloquence.

Un noble mal famé: l’homme de la parole et du profit immédiats

Typiquement, Don Juan a le verbe facile et fleuri. Une bonne partie de son pouvoir de séduction passe par la parole, et le séducteur est sans doute, entre autres, l’homme du bon mot. Nulle surprise, donc, si sa première apparition nous le présente dans la fièvre de l’art oratoire, monologuant. Son discours pour la Vierge aux Sept Poignards excède la simple déférence religieuse. Il commence avec la verve lyrique d’un poème en prose : « [ô] grande Madone, ô neige vierge des altières Sierras, ô mer tropicale restée incognita » (Lee dans G.-M., 2001 : 123). Portant dans un premier élan le sentiment d’exaltation religieuse vers les hauteurs montagneuses, le discours de Don Juan retombe pourtant vers des considérations triviales au moment même où l’on entend sonner dans ses louanges l’espèce sonnante et trébuchante. L’expression métaphorique s’émancipe alors de l’objet de comparaison initial. L’éloge de la femme s’édulcore tandis que l’on voit poindre une véritable vénération pour l’argent : « ô mine d’or épargnée par l’Espagnol, ô doublon tout neuf jamais empoché par le Juif » (Lee dans G.-M., 2001 : 123). Il faut préciser que le Don Juan leeien est loin d’être insensible au roulement de la pièce de métal sur le comptoir. Quand il faut passer à la rétribution financière de Baruch, Don Juan, telle la girouette sur le toit de l’église de Grenade lorsque tourne le vent, fait volte-face. Il reprend le trésor qu’il n’avait d’ailleurs jamais cédé – la promesse donjuanesque n’est-elle pas par définition vide de contenu ? Tel est Don Juan, non pas homme de parole, mais homme de la parole – si l’on entend par là que l’on peut tout entendre de lui, le vrai comme le faux, le langage tantôt châtié, tantôt ordurier, la flagornerie du prieur agenouillé comme les menaces du croyant risquant de ne pas être exaucé, les éloges mielleuses du séducteur comme l’insulte pour les femmes d’autrefois dont les voix insupportent. Avec Don Juan, dire ce n’est pas faire, ce n’est encore que dire, et il n’y a  – qu’on se le tienne pour dit – rien qui ne soit susceptible d’être dédit, puisque les mots n’engagent à rien, ou tout aussi bien au contraire d’eux-mêmes. Ils sont, comme les pièces d’or de l’Infante, aussi vite offerts que repris. Ce sont des chèques sans provision pour le futur, et l’on ne peut accorder de crédit au beau-parleur sans qu’il ne se mette aussitôt à découvert : Don Juan n’est pas fiable. Puisqu’il est homme de l’instant, c’est la notion de promesse elle-même qui, en s’énonçant, s’engage dans l’impasse aporétique.

De ce même premier discours vient sourdre, de surcroît, l’antisémitisme. Mais, là encore, l’homme versatile est capable de prodigieuses contorsions morales quand il sait qu’ajourner momentanément sa xénophobie peut jouer en sa faveur. Quand bien même tout commerce avec les Juifs l’indispose et qu’il trouve « inconcevablement odieux d’avoir à user de civilités envers leur chien de Mahomet (sic) » (Lee dans G.-M., 2001 : 127), Don Juan a recours aux services de Baruch pour parvenir à ses fins. C’est un opportuniste prêt à prendre le contre-pied des valeurs qui sont les siennes. Même les hommes qui œuvrent pour lui devront souffrir d’une franche et indolente ingratitude. Il suffit d’une conversation trop animée à son goût pour qu’une pluie d’objets s’abatte sur ces fidèles sujets. De la même façon, une fois qu’il n’a plus besoin de Baruch, Don Juan le passe au fil de l’épée sans autre forme de procès.

De ces épisodes on peut tirer deux observations majeures. D’une part, Don Juan éprouve du mépris pour les hommes et la condition humaine en général, qui est incarnée à travers ses hommes de main – le bretteur et l’écrivain – sous deux de ses aspects les plus caricaturaux : la souplesse du corps et l’agilité de l’intellect. Comme le remarque Micheline Sauvage, « ­[l]a seigneuriale et intolérable désinvolture de don Juan est une riposte d’homme à la condition d’homme » (Sauvage, 1953 : 11). Cette facilité à lapider symboliquement ou à assassiner avec nonchalance est fruit d’une semblable révolte. En outre, cette aisance à se départir des objets comme des hommes, à jeter ou à tuer, dépeint le héros comme un impulsif, un nerveux, un sanguin. Don Juan est l’homme de la pulsion, de la spontanéité, qui vit aux prises avec l’instant[vi].

Finalement, Don Juan misanthrope est aussi Don Juan tartuffe. C’est un dévot impénitent qui, dans ce discours liminaire, se targue d’avoir « commis tous les crimes, et le meurtre et le parjure, le blasphème et le sacrilège » (Lee dans G.-M., 2001 : 123). La femme sert de marche-pied qui met en exergue les mauvais agissement. Voilà pourquoi Don Juan évoque ces sept dames « pour chacune desquelles [il a] violé un commandement et occis plusieurs créatures de Dieu (la dernière, qui plus est, étant une nonne cloîtrée, ce qui est un cas de sacrilège inexpiable) » (Lee dans G.-M., 2001 : 123-24). L’euphémisme est emporté par la vague de l’arrogance et de la surenchère. Ce qui aurait tenu lieu de confession honteuse dans la bouche de tout autre paroissien, d’un aveu qui s’étrangle dans l’obscurité grillagée d’un confessionnal, ouvre la porte en grand pour ce présomptueux à l’autopromotion et à l’encensement de soi. Voilà que se profile une attitude profane qui n’aura de cesse de se manifester dans la suite du récit. Que dire de l’épisode où il fait basculer la religieuse délatrice dans un puits ? Don Juan se remémore ce souvenir non sans quelque bonne humeur empreinte d’une pointe de jubilation sadique : ces évocations sont « pimentées par l’attrait du sacrilège affreux, de se faufiler en cachette entre les citronniers de la cour du cloître et d’y jeter au fond du puits la sœur portière et ses dénonciations » (Lee dans G.-M., 2001 : 126). Cet anti-héros n’a visiblement égard ni pour la féminité, ni pour l’institution que la cornette incarne, ni pour aucune forme d’autorité. De façon systématique, il accumule les oppositions aux groupes des Autres : piètre croyant, rebelle à l’ordre public et misogyne avéré. Dans cette mesure, l’offense à la chrétienté devient comme un leitmotiv de la nouvelle. Pour faire régner le silence, c’est son missel qu’il jette par la fenêtre, un acte symbolique au possible : « [e]t tous de décamper illico, avec force courbettes obséquieuses à son intention, […] esquivant les bottes cavalières, la guitare et le missel de sa Seigneurie » (Lee dans G.-M., 2001 : 126). De toute façon, quand la colère s’empare de Don Juan, il devient incontrôlable – mais est-il jamais un tant soit peu maîtrisable? Ses propos outrageants indignent la morale puritaine qui les censure. On ne peut qu’imaginer Don Juan invoquant en vain le nom du divin, car le narrateur prendra soin d’épargner au lecteur des « menaces et jurons trop affreux pour être répétés ici » (Lee dans G.-M., 2001 : 126). Don Juan porte derechef atteinte à l’Eglise en ayant recours à des pratiques païennes pour relever son ultime défi. « Il était terrible, après tout, d’avoir à blasphémer contre la Sainte Eglise catholique apostolique et tous ses saints » (Lee dans G.-M., 2001 : 127) reconnaît-il en son for intérieur. Mais la séance d’invocation des esprits ne lui en apparaît que plus délectable. En dernier lieu, sur la place publique, l’affrontement se joue physiquement entre Don Juan et un ecclésiastique lorsque, « empoignant par le col un prêtre corpulent, il le secou[e] sans ménagement » (Lee dans G.-M., 2001 : 146). L’esprit tourmente certainement à la fois l’institution religieuse et l’homme ayant fait vœu de chasteté. Don Juan est en toutes circonstances un hors-la-loi qui se rit des injonctions des codes, principes et autres commandements. Aucune réglementation n’existe, qui le refoulera au pied du mur des lamentations.

Don Juan, dans son premier discours, offre un dernier exemple d’infidélité religieuse : il promet de vanter les mérites de la Vierge devant les dieux de l’Olympe dans une mise en commun de divinités qui établit un panthéon aussi bigarré que profanatoire. Non pas que Don Juan se pose sérieusement la question du polythéisme. Mais sait-on jamais… Et s’il se trouvait là-haut quelque Aphrodite ou quelque Héra à séduire ?

Un homme à femmes : catalogue d’un collectionneur

Aphrodite, Héra et sans doute toutes les habitantes de l’Olympe seraient susceptibles de représenter un enjeu pour ce charmeur infatigable. Mais d’abord qu’est-ce qu’un séducteur ? Se-ducere, c’est littéralement « conduire à part » (Picoche, 1987 : 159). Donc, en un sens, le séducteur est celui qui rend unique chaque femme sur laquelle il jette son dévolu : en soustrayant sa conquête à la masse informe du plus grand nombre, il fait de celle qu’il mène à l’écart une exception – à ceci près que chez le séducteur, la règle n’est constituée que d’exceptions. Il faut ajouter, pour parachever notre définition, que le séducteur est surtout cet homme qui étymologiquement (se) conduit mal. La séduction est comme une ruse et un louvoiement, l’ « action de mener de côté », de faire dévier de la juste trajectoire, d’arracher la brebis du troupeau. D’où les sens dérivés qu’a sédimentés le verbe « séduire » de « charmer », « tromper », « amener à la faute » ou « corrompre » (Dubois, 2001 : 699). N’omettons pas à ce stade de notre analyse les antécédents familiaux : l’arrière grand-père du Don Juan leeien n’est autre que le dénommé El Burlador, autrement réputé comme l’abuseur[vii] de Séville. Dans l’univers impitoyable de la séduction, même les femmes les plus vertueuses se commettent avec le séducteur, causant leur propre perte. Dans la nouvelle de Lee, c’est la petite nonne du récit qui fait les frais des frasques du séducteur, celle-là même qui « n’était pas loin d’incarner l’idée qu’il se faisait des anges » (Lee dans G.-M., 2001 : 127). Au final, Séraphita fait figure d’ange déçu et désormais déchu, comme dans la pièce d’Alexandre Dumas où c’est un ange-gardien qui, séduit par Don Juan, littéralement, y laisse ses plumes[viii]. Il est à noter néanmoins que, pour Otto Rank, le séducteur est moins celui qui perd la femme, que celui qui la sauve.

Don Juan est aussi dans un certain sens le véritable émancipateur de la femme. Il libère la jeune fille des chaînes dans lesquelles la religion et la morale, créées pour l’avantage de l’homme, l’ont emprisonnée, par le fait qu’il ne veut pas mettre sur elle son emprise définitive, mais seulement en faire une femme (surtout les nonnes enlevées au cloître). (Rank, 1973 : 165)

Le séducteur est, de fait, celui qui déjoue la règle patriarcale. Mais, de façon plus égocentrique, chaque succès agrandit l’idée que Don Juan se fait de lui-même, un narcissisme qu’il gonfle à l’éclatement en choisissant une femme toujours plus impossible à saisir : la mondaine, puis la nonne. Toutefois, lorsque de grenouille Don Juan veut devenir bœuf, la structure trop petite du réalisme tremble sur ses fondations. Le fantastique intervient pour ouvrir une brèche vers un monde de possibles quand le cadre réaliste a implosé, inapte à contenir davantage le débordement des objectifs donjuanesques, lorsque la dernière lubie du séducteur consiste à vouloir séduire une morte dont il n’a cure qu’elle soit « grosse et grasse » (Lee dans G-M, 2001 : 130), car Don Juan n’est pas nécessairement fin esthète. Et pourquoi ne pas jeter son dévolu sur la Vierge quand on est parvenu si loin? Don Juan compose des poèmes à brûle-pourpoint lorsqu’il interpelle la Madonne : « ô Brûlure d’Eau, Fraîcheur de Feu, ô Soleil de Minuit, Galaxie de Midi » (Lee dans G.-M., 2001 : 123). L’oxymore qui écartèle chaque syntagme entre ses deux pôles jusqu’au point de rupture, l’hyperbole qui va grossissant comme vers un futur Big-Bang, donnent à ce discours grandiloquent un tour parodique : la prière se transforme en pastiche de déclaration amoureuse. C’est moins un croyant qu’un soupirant qui pose le genou à terre :

“j’ai toujours respecté ton nom sans jamais souffrir d’entendre quiconque chanter plus grandes louanges des autres madones, ni celle du Bon Conseil, ni celle du Prompt Secours, ni Notre-Dame du Mont-Carmel, ni la Dame de Saint-Luc à Bologne en Italie, ni la Dame à la Pantoufle à Famagouste de Chypre, ni celle du Pilier à Saragosse, toutes madones plus grandes les unes que les autres, et dont le monde entier révère le pouvoir, et que la plupart te préfèrent. Pourtant, moi, Don Juan Gusman del Pulgar, ton rhéteur, bretteur et serviteur, j’ai toujours protesté qu’elles étaient infiniment inférieures à toi.” (Lee dans G.-M., 2001 : 123)

Don Juan suppose à la Vierge une très terrestre et profondément impie vanité féminine. Le discours qu’il délivre est alors comme la pomme de Pâris à l’attention de Vénus. Orateur adroit, Don Juan renverse les rôles. Si la Madone peut voir en lui un adorateur, c’est en somme à elle qu’il fait un privilège.

Don Juan n’a au final de barrière ni le rang social, ni la qualité de l’être, qui peut être indifféremment vivant, mort ou éternel. Mais plus qu’une litanie de prénoms féminins – au nombre desquels on peut compter « Dolorès, Fatma, Catalina, Elvire, Violante, Azahar et sa sœur Séraphita » (Lee dans G.-M., 2001 : 123) –, plus qu’un agrégat de nationalités où se bousculent « Espagnoles et Italiennes, Allemandes et Françaises, Hollandaises et Flamandes, Juives et Sarrasines » (Lee dans G-M, 2001 : 123), la séduction est, de façon primordiale, une question de vie ou de mort. C’est la confidence que le Don Juan de Mozart fait à son valet au sujet des femmes : « Ne sais-tu pas qu’elles me sont plus nécessaires que le pain que je mange, que l’air que je respire ! » (Da Ponte, 1994 [1787] : 127). Ces femmes sont vitales ; elles communiquent un sursaut de vie à Don Juan, qui, à chaque conquête, ressuscite :

“C’est par la besogne, comme on dit dans la langue galante pour l’acte d’amour, que Don Juan cherche à faire travailler ce corps mort qui est le sien, parce que, comme nous le verrons à propos du Surmâle d’Alfred Jarry, il l’identifie à un cadavre, peut-être celui qu’incarnait déjà le Christ.” (Winter, 2001 : 40)

Il s’agit tellement de fureur de vivre et de dénégation de la finitude humaine que le héros leeien rappelle, à travers l’acte de séduction, une morte à la vie. En considérant la mort non pas comme un aboutissement inexorable, mais comme un obstacle que l’on peut contourner par la ruse, Don Juan désavoue le concept de la mort, et, par là même, nie sa propre fin.

Tout feu tout flamme : le diabolique dans l’homme du défi

De l’homme absurde à l’ange de la mort

Ce besoin impérieux qu’a Don Juan de renouveler le défi[ix], et de le vouloir plus inatteignable que le précédent, est avant tout une urgence de vivre et de prendre le pas sur la mort, sur cette extinction menaçante du désir repu qui, si l’on vient à bout de l’équation terrifiante qu’il pose, équivaut à la disparition du personnage et à l’anéantissement de l’homme sans dernier recours. En n’admettant pas que la mort s’interpose entre lui et l’objet à séduire, mais aussi à travers chaque acte de séduction réitéré, Don Juan repousse le funeste dans ses retranchements. Mais la mort qu’il croit faire fuir ne recule que pour mieux bondir : l’hybris, l’outrecuidance fantastique seront châtiés. Don Juan s’agite dans des sables mouvants, et chaque mouvement qu’il fait, fût-il de séduction, rapproche un peu plus l’heure fatidique. N’est-il pas à ce titre l’homme absurde par excellence, au sens que lui attribue la réflexion camusienne[x], celui-là même qui est au faîte de sa gloire dans la gratuité de l’acte?

Néanmoins, il est un autre point de vue qui ferait valoir Don Juan non pas comme un adversaire farouche, mais comme un médiateur de la mort. Songeons à ces voix d’outre-tombe qui interpellent le héros :

“Don Juan ! Don Juan ! appelaient les voix ténues tapies dans les ténèbres. Il lui vint à l’idée qu’elles tentaient de le retenir. Et il crut reconnaître la voix de Dolorès et de Fatma, ses défuntes maîtresses.” (Lee dans G.-M., 2001 : 134)

On peut gager que ces femmes sont mortes parce que dans le basculement fantastique les rapports au temps sont inversés. La résurrection des morts (de l’Infante, de son entourage) sonne le glas pour les vivants (les anciennes amantes, Don Juan lui-même doivent disparaître). Mais les femmes délaissées sont au fond mortes d’avoir connu Don Juan, mortes sinon dans l’événement, du moins symboliquement au souvenir d’un séducteur oublieux. Du reste, il importe peu que la mort soit physique, puisqu’elle est déjà dans la disparition du désir et la distanciation – voire l’oblitération possible – du souvenir. Ainsi, le lit des amours heureuses devient pour Azahar le lit de la lente agonie. Don Juan serait alors un ange de la mort.

Percée dans l’outre-monde : une descente aux enfers ?

L’aspect diabolique de Don Juan, annoncé en préambule par cette « moustache fourchue » (Lee dans G.-M., 2001 : 124) qu’il arbore, est d’autant exacerbé qu’il se pose sur une toile de fond religieuse.

Ennemi de Dieu, don Juan est en puissance un Antéchrist […]. Imagine-t-on un don Juan dans la Rome païenne ? Le voit-on à une époque où toutes les contraintes auraient disparu ? L’idée même d’un don Juan est étroitement liée à celle de religion à tel point que, parlant de lui, on finit invinciblement par évoquer la possession du démon. (Marceau, 1985 : 153)

Ainsi, la flamme du désir qui brûle en lui a tout des langues de feu infernales :

“le séducteur si prompt à s’embraser qui finit en enfer est le plus souvent comparé au diable, démon ou Belzébuth. Alors sa fin dans les flammes n’est peut-être qu’un retour à son élément naturel : mal guéri par le mal, ou mâle par le mâle, il est sans doute le phénix qui renaît des cendres du désir, toujours renouvelé, dans lequel on le croyait consumé.” (Tirso de Molina, 1993 [1630] : 201)

Le Don Juan leeien a-t-il en coin le sourire méphistophélique ? Il y a de toute évidence une monstruosité dans l’absence de considérations éthiques du personnage, à commencer par son désir de braver la mort, qui est présenté comme une effraction satanique. Don Juan, homme de la parole – de la parole mauvaise par opposition à la Bonne Parole – se livre avec empressement à la lecture des formules incantatoires qui invoquent les démons. Des figures monstrueuses entrent aussitôt en scène, qui font des combinaisons anatomiques insolites : « corps de singe, serres de rapace et groin de porc » (Lee dans G.-M., 2001 : 130). Ne peut-on reconnaître dans l’insolence simiesque, dans l’avidité du rapace et l’appétit du pourceau d’Epicure des fragments épars d’un miroir donjuanesque brisé? La figure éléphantesque donne un nouvel exemple de ce confondant syncrétisme physiologique. Elle fait valoir l’humanité d’êtres qui exécutent « une ronde frénétique autour du chaudron, en se donnant la main » et l’animalité de ces mêmes créatures « en équilibre sur leurs pattes de derrière » (Lee dans G.-M., 2001 : 131). C’est aussi une figure hypersexualisée et hermaphrodite qui greffe le masculin (la trompe, la queue de serpent) et les attributs féminins (les seins de jolie femme). Ces bêtes anthropomorphes, à l’instar de Don Juan, s’opposent violemment aux personnages du récit qui vivent dans une sphère désertée par la sexualité (eunuque, duègne, Infante, prêtre, Vierge, chérubins). Elles sont, d’un point de vue interne au récit, un avertissement de mauvais augure pour le protagoniste. L’on pourrait, dans cette optique, comparer Don Juan a un docteur Frankenstein qui, à vouloir réveiller une morte, ne mesure pas les conséquences fâcheuses de ses actes et les risques qu’il encourt pour lui-même. Cette flamme qui jaillit sous le chaudron de Baruch ouvre ce qui ressemble à une gorge reliant la terre et les abîmes sulfureux au point que Don Juan se demande : « Et si c’était l’Enfer ? » (Lee dans G.-M., 2001 : 134). Dans ce couloir exigu, les voix qui se font entendre ressemblent à celles d’âmes damnées : « – Don Juan, Don Juan, chuchotèrent, un peu plus loin, les murs et le plafond » (Lee dans G.-M., 2001 : 134). Déstabilisé par ces appels inquiétants, le protagoniste leeien poursuit pourtant sa quête obstinément : « [l]e cavalier magnanime sentit son sang se glacer dans ses veines et une sueur froide lui coller les cheveux sur le crâne. Cependant, il continua d’avancer» (Lee dans G.-M., 2001 : 133). Don Juan n’a en tête qu’une idée fixe, sorte de monomanie dont même le brasier infernal ne saurait le détourner ; il court ainsi droit à sa perte.

Nous conclurons cette première partie sur l’idée que le Don Juan leeien (en tant que cas) est fidèle à lui-même (en tant que type). Tout d’abord, il semble n’avoir de noblesse que la litanie de titres honorifiques que pour lui-même il énonce religieusement. Mais les trompe-l’œil sont vains : la grandeur de son titre elle-même s’effrite par l’annexe à son nom de « Gusman », le nom du valet d’Elvire (Molière, 1994 [1665] : 20). La bure du roturier dépasse de la cape du Seigneur. Par extension métaphorique, c’est la noblesse de l’âme qui est minée du dedans. L’imposture se vérifie puisque Don Juan est homme de la parole creuse, celle qui offre à toutes les femmes la pomme dédiée « à la plus belle ». Pourtant, le compliment qu’il va refuser à l’Infante signera son arrêt de mort. Dans la perspective dramatique, Don Juan avance vers cet épisode comme un mort en sursis. Ses accessoires vestimentaires tiennent visiblement lieu de ressort proleptique. S’il est toujours drapé de noir, d’un certain point de vue, c’est comme si transparaissaient dans ses atours de corbeau, une intériorité, la noirceur de son âme. Mais c’est aussi que, personnage funeste, Don Juan est un moribond. La mort lui colle comme une seconde peau. Les habits endeuillés qu’il porte à l’église, le drap cramoisi de sa chambre, qui est comme mortuaire, convoquent très tôt dans le texte le linceul tâché de sang. Le décor, l’écriture, suintent de cette mort à venir, jusqu’au soleil « badigeonnant de sanguine le lointain lavis de la rivière […], éclaboussant d’écarlate les neiges de Mulhacen, et ensanglantant les pentes de la Sierra de taches de rouille, comme des gouttes de sang sur un marbre » (Lee dans G.-M., 2001 : 128). Sa conduite, son inconduite, font de Don Juan un personnage qui n’est pas viable. Et qui ne fera désormais plus long feu…

II- La mise au pilori fantastique d’un séducteur mythique

Les mutilations du récit : décapitations multiples et castration symbolique

Le cœur transpercé de poignards

 La douleur et le corps supplicié sont des thèmes récurrents de la nouvelle. Les effigies de l’église plantent dès le départ le décor de la souffrance avec ses représentations du martyr déployant à la vue les signes du supplice et de l’affliction. On y voit « un cortège de christs de cire ceints de pagnes pailletés exhibant leurs plaies sanglantes » entourés de « saintes éplorées de moindre renom versant des larmes de perle » (Lee dans G.-M., 2001 : 122). Cette idéologie doloriste voit son apothéose en la Vierge au sein criblé de lames de poignards. Logé au cœur du texte comme au sommet de l’édifice en guise de girouette, dans une symbolique mystique à la fois baroque et surréaliste, le cœur blessé symbolise la déconvenue sentimentale des femmes abandonnées par Don Juan : le séducteur est un crève-coeur.

Dans cette atmosphère lourde de la notion biblique de la faute – les poignards dans le cœur de la Madonne, comme les Dames que Don Juan a séduites, sont au nombre des péchés capitaux – le sentiment de culpabilité, s’il est tapi dans les recoins du décor, existe en toutes circonstances en dehors du personnage. C’est ce qui fait hésiter Paul-Assoun à se prononcer sur la perversité de Don Juan :

“on ne sait jamais tout à fait si le sujet pervers est ‘inconscient’ de la portée de ses actes – ce qui serait une forme de ‘sincérité’ – ou s’il joue à l’innocence, ce qui l’acculerait au cynisme. Ce trait caractéristique d’indétermination renvoie à un élément essentiel du type pervers : il est dans un rapport à la transgression qui la contourne, faisant ainsi l’économie de la culpabilité – que le névrosé, lui, affronte de plein fouet.” (Assoun, 1989 : 14)

Toutefois cette dispense d’empathie est temporairement suspendue dans ce tunnel où un brouhaha de voix féminines se fait entendre. La mémoire de ses anciens forfaits semble revenir tout en bloc à Don Juan. C’est une véritable traversée de son inconscient qu’il entreprend dans ce long corridor souterrain où frétillent sous ses pas les serpents bibliques, une plongée au cœur de la culpabilité occasionnant un brusque retour du refoulé. Comme ce chat qui se plaît soudainement à miauler derrière le mur où l’on s’est débarrassé d’un cadavre encombrant (Poe, 1974 [1839] : 70), ou ce cœur de vieillard assassiné que l’on est persuadé d’entendre palpiter à nouveau sous les lattes du plancher (Poe, 1974 [1839] : 117-118), la culpabilité dénigrée par le personnage remonte jusqu’à lui par vagues sonores qui font frissonner le monde sans reproches dans lequel il croyait pouvoir vivre. Troublée l’eau calme et lisse d’une conscience en paix avec elle-même. Les onduleuses reptations finissent toujours par rattraper le fugitif aveugle. Elles rampent, se hissent alors jusqu’à l’oreille de qui refuse de voir sa faute. Ainsi, les voix féminines se font récriminatrices. Elles hantent l’accusé qui se sait coupable au point de déclencher l’hystérie masculine :

Pareillement à Ulysse, Magnus, Winthrop, Don Juan tentent de rester sourds aux appels des sirènes d’outre-monde. En vain : car cette voix est celle du daimon. L’explication psychologique du phénomène comme hallucination auditive ne résoudrait pas tout, car au mystère du symptôme (le dédoublement) se substituerait alors celui des causes : alors que l’hystérie est à l’époque considérée comme la maladie féminine par excellence, Magnus, Winthrop, Don Juan seraient-ils, entre paradoxe médical et phénomène de cirque, des mâles hystériques ? (Geoffroy-Menoux, 2002 : 125)

Agité de tremblements, trempé de sueur, Don Juan « se sen[t] tout à coup près de défaillir » (Lee dans G.-M., 2001 : 134). Il doit alors négocier un compromis avec sa conscience, ce qui passe par une modification de la représentation mentale qu’il se fait des femmes. Puisque sa propre intégrité est menacée, l’heure n’est plus à l’attendrissement. Ses anciennes conquêtes passent pour des catins ; la petite nonne qu’il avait prise en affection est reléguée au statut de sorcière. Les femmes sont devenues des harpies tandis que lui se pose comme victime. Ce ré-étiquetage suffit à mettre fin à la parenthèse du remords. La lumière réapparaît. Don Juan voit le bout du tunnel. Il retourne dès lors à sa coutumière insouciance, tout entier à son nouveau défi.

Une légion de têtes sans corps

 Des têtes où le corps vient à manquer apparaissent dès les premières lignes de la nouvelle. Dans l’architecture foisonnante de fioritures baroques, des têtes innombrables surgissent des arches de l’église, des têtes grotesques sinon de par le ridicule de leurs traits, du moins en raison de leur existence précaire et dérisoire sans l’appui du corps. La mise à l’écart de ce corps est soutenue jusque dans la rhétorique, par l’hypallage qui affuble ces têtes d’épaulettes[xi], faute que les accessoires vestimentaires puissent prendre prise ailleurs.

Le thème de la décapitation repose à fleur de texte. Un peu plus loin, les lignes abruptes de l’édifice religieux servent de prétexte à évoquer de sordides avertissements : « ce ne sont que lignes brisées brandies comme lances au bout desquelles on exhibe la tête des traîtres » (Lee dans G.-M., 2001 : 121). Une ligne (celle de l’architecture, celle du texte) suffit à convoquer l’idéologie du sadisme, de la cruauté du sacrifice humain et la barbarie des figures suppliciées, des têtes-fétiches brandies qui ne sont pas sans rappeler l’effigie de Lord of the Flies (Golding, 1954) ou la haie de têtes rétrécies dans Heart of Darkness (Conrad, 1899). Les particularités architecturales font jaillir en saillie la brutalité de scènes d’autrefois et font de l’endroit non pas un havre de paix comme on serait en droit de l’attendre d’un lieu solennel, mais une galerie de violence, stèle commémorative de champs de bataille qui débordent les uns sur les autres. Les murs de cette église de Grenade tremblent de siècles d’histoire espagnole, jusqu’à ces corniches qui sont à leur manière les remparts d’où l’on a précipité les indésirables : « ce n’est qu’un vertige de corniches encorbellées comme montagnes d’où précipiter les rebelles mauresques » (Lee dans G.-M., 2001 : 121). Si la pierre froide de l’église peut s’animer brusquement de ces scènes historiques, c’est que le lieu n’est pas une page vierge. Il porte en lui emmuré son passé. C’est l’esprit de ce drôle de farfadet, le genius loci, qui rôde dans les lieux chargés d’Histoire et se révèle à ceux qui sentent que le lieu est pourvu d’une âme. « Le Génie des Lieux », décrète Vernon Lee, « comme toutes les divinités dignes de ce nom, est de la même substance que notre cœur et notre esprit, une réalité spirituelle. Pour ce qui est de sa manifestation physique, elle tient dans le lieu lui-même »[xii]. Ainsi, dans le silence de cette église espagnole, ce génie du lieu crie-t-il la souffrance et la mort, le crime et son châtiment, amorçant dès les premières lignes la fin du récit. La corniche annonce la mort de Baruch, qui sera précipité dans le vide ; les lignes dures de l’édifice préfigurent l’étêtement à venir de Don Juan.

De même, l’ekphrasis a une fonction proleptique qui anticipe sur le passage de Don Juan de vie à trépas. Les portraits figurant ses ancêtres les représentent avec sous le pied la tête d’une victime aussi dérisoire qu’ « une tête à perruque de coiffeur » (Lee dans G.-M., 2001 : 127). Le tableau au-dessus du lit de Don Juan évoque le répertoire iconographique des vanités. Ce tableau de l’ermite caressant « une tête de mort de belle apparence » (Lee dans G.-M., 2001 : 126) ramène en mémoire les memento mori où un personnage médite, un crâne posé dans la main. Telles sont les représentations de Saint-François ou de Saint-Jérôme – le Saint-François à genoux avec une tête de mort (1658) de Zurbaran par exemple ou le Saint-Jérôme (1521) d’Albrecht Dürer. Le tableau agit ici comme une vignette à la fonction anticipatoire. Il fait entendre comme une menace sourde mais certaine le sort réservé à Don Juan. On pourra aussi voir en l’ermite famélique caressant ce crâne un personnage nécrophile – la mort avec sa faux qui s’amuse de l’insignifiance de la vie des mortels – ou un symbole de la toute-puissance de l’auteur méditant sur l’espérance de vie de son personnage. En tout état de cause, placée au-dessus de Don Juan, la peinture reste suspendue comme une épée de Damoclès. Le sens de la nouvelle tient dans cette seule image qui fait office de « tableau-récit » (Geoffroy-Menoux, 2003 : 46). La carte fatale d’un jeu de tarot vient d’être tirée. Il ne reste au récit qu’à honorer les promesses de cette vision prémonitoire…

L’angoisse de castration

La souffrance, cette substance qui s’inscrit en filigrane dans la nouvelle qui nous intéresse, nourrit aussi l’interminable quête donjuanesque. L’histoire de Don Juan est celle de l’éternelle poursuite d’un désir fuyant toujours d’une femme vers l’autre, de cette hémorragie du désir. Don Juan est un Sisyphe de la séduction sans espoir de répit. Pire, la montagne qu’il se propose de gravir doit être à chaque fois plus haute que la précédente, la pierre toujours plus lourde. Il s’ensuit que cet être défiant est aussi un être défaillant. Selon Paul-Assoun, reprenant à son compte le point de vue jungien, Don Juan renouvelle constamment la séduction à la recherche d’une femme première, la mère, qu’il ne retrouve jamais dans l’amante – mais que pourrait incarner la Vierge que nous trouvons ici.

A travers son attitude défiante envers la Loi, Don Juan réitère également la riposte contre l’autorité du Père. Dans un film éponyme [Weber, 1998], Don Juan pousse l’effronterie jusqu’à se mettre en costume de bain  – c’est-à-dire nu  – pour recevoir son père. Il est en prise avec une angoisse de castration qui toujours dans la confrontation ressurgit. « Il est essentiel de comprendre que la croyance à l’immortalité du Moi », nous dit Paul-Assoun,

“va de pair chez Don Juan avec l’incroyance envers l’autorité paternelle. Or, cela ne peut s’appuyer que sur la croyance primitive à une possession de la mère, précocement volée au Père, ce qui donne au pervers la conviction que [le] Père est ‘nul et non avenu’ – ainsi que la menace de castration par laquelle s’exprime son pouvoir au regard de l’inconscient.” (Assoun, 1989 : 14)

Et pourtant le Père finit par vaincre : dans la nouvelle de Vernon Lee, la castration symbolique coupe court à la cavale effrénée du coureur. L’imposant Grand Eunuque compense amplement sa supposée amputation par une démonstration de son hypermasculinité, quand une seule parole de lui suffit à commander l’immense cimeterre qui tranche net la gorge de Don Juan. Le grotesque associé aux têtes encastrées dans les arches de l’église ressurgit à l’instant même où la tête de Don Juan dégringole les escaliers comme un insignifiant ballon. Son existence est aussi dérisoire que la tête du guillotiné, dans La Reine Margot (1994) de Chéreau, que l’épouse emporte sous son bras. Déjà s’annonce la fin de la nouvelle, cet écart fatidique d’un centimètre entre la tête tranchée et la gorge ensanglantée.

 Questionnement identitaire et métamorphose

 « De qui s’agit-il ? » : l’impossible retour sur soi

Le Don Juan du récit, en élisant une favorite, se renie lui-même au point qu’il est incapable de se reconnaître. « De qui s’agit-il ? » (Lee dans G.-M., 2001 : 146-47) reprend son fantôme comme une sempiternelle rengaine, qui attend – mais en vain – l’intermédiaire des autres pour reconnaître son identité propre. L’auto-identification laisse de la même manière le Don Juan mériméen pantois :

“don Juan éprouva d’abord cette espèce de dégoût que l’idée de la mort inspire à un épicurien. Il se leva et voulut s’éloigner, mais le nombre des pénitents et la pompe du cortège le surprirent et piquèrent sa curiosité. La procession se dirigeant vers une église voisine dont les portes venaient de s’ouvrir avec bruit, don Juan arrêta par la manche une des figures qui portaient des cierges et lui demanda poliment quelle était la personne qu’on allait enterrer. Le pénitent leva la tête : sa figure était pâle et décharnée comme celle d’un homme qui sort d’une longue et douloureuse maladie. Il répondit d’une voix sépulcrale : ‘C’est le comte don Juan de Maraňa’.” (Mérimée, 1998 [1834] : 72)

Le miroir lacanien est brisé avec ces héros qui refusent de se reconnaître. Du point de vue de la logique introspective, la nouvelle illustre la discordance du retour sur soi. Le fantastique montre l’impossibilité ontologique pour le soi de se contempler sans se dénaturer, sans faire du soi observé un être inanimé, objet hors d’état d’être, mis à mort dans l’acte contemplatif par l’acte contemplatif en lui-même : l’autoscopie paraît ici exiger le détour de l’autopsie. En termes symboliques, le soi observé est un corps posé dans un cercueil qui ne donne plus signe de vie. Quant au soi observant, il devient un fantôme de soi inopérant sur le monde, ectoplasme insignifiant traversant les corps des hommes qui l’entourent, inexistant en tant qu’acteur dès lors qu’il s’assied dans le fauteuil du spectateur. Le soi-observant est un « revenant » pour lui-même, effectuant, dans l’intention de se voir, le virage dangereux du serpent qui se mord la queue. Il y a là la dérive du détective qui se lance sur sa propre piste avec un aveuglement innocent, comme le héros d’Œdipe-Roi (Sophocle, 1383) ou des Gommes (Robbe-Grillet, 1953), qui se voit opposer cette terrible vérité que celui qu’il pourchasse n’est autre que lui-même. Voilà donc Don Juan qui flaire ses traces de sang comme le limier insensé qui mène l’enquête sur sa propre vie :

“Don Juan remarqua parmi les pavés et la boue sèche de la rue, de grosses taches de sang ; de plus en plus grosses à mesure qu’il avançait, elles ne tardèrent pas à former une ligne presque continue, et même, se mêlant aux flaques d’eau, un petit ruisseau rouge. [C]e filet de sang exerçait une fascination étrange sur Don Juan ; sans s’en rendre compte, au lieu de prendre le raccourci qui le menait à son palais, il la suivit […]” (Lee dans G.-M., 2001 : 146)

En substance, tous les éléments sont présents : le sang, le corps, l’âme errante qui se déplace entre les éléments épars. Rien ne manque, sauf l’alchimie qui fait de toutes ces pièces démantelées un système cohérent. Dans l’acte d’auto-observation, il y a un double et un autre double, mais l’original est à jamais perdu. Il y a un clivage qui suppose dans chaque moitié de soi autonomisée une part de vide : un observateur sans réalité corporelle ni substance, un objet d’étude sans conscience de soi. Il faut dès lors

“renoncer à l’idée que le soi puisse être perçu dans une réplique qui permette au sujet de se saisir lui-même. Le double, qui autoriserait cette saisie, signifierait aussi le meurtre du sujet et le renoncement à soi, perpétuellement dessaisi de lui-même au profit d’un double fantomatique et cruel.” (Rosset, 1976 : 113)

Ici, le sujet est bien mort, un centimètre de vide en répond. Ce qu’il reste de vie est un double fantomatique, et lorsqu’il se penche sur lui-même pour (se) découvrir un corps sans vie, c’est l’horreur :

“Don Juan del Pulgar dévisagea longuement le cadavre.

C’était le sien.” (Lee dans G.-M., 2001 : 147)

Ce cri d’horreur que poussent les quelques lignes muettes de ce passage, ce mouvement de recul qu’opère le texte fictionnel dans l’alinéa, et Don Juan avec lui, résident dans l’atrocité d’une aberration que seule la boucle fantastique peut opérer : se voir mort.

L’identité donjuanesque : le je(u) dangereux

Il y a dans cette confrontation au soi-mort l’idée que Don Juan puisse se voir lui-même tel qu’il fut, qu’il voie dans ce cadavre une sorte de ça-a-été barthien, qu’on lui glisse sous les yeux un miroir fêlé révélant sa dernière image. Pourtant, Don Juan est définitivement Autre que cet être ensanglanté, sans vie, qui gît sous les yeux du fantôme. Le Don Juan tel qu’on le connaissait, tel qu’il se connaissait lui-même, est mort. En illustrant son attachement envers une femme seule, il a procédé à une forme d’auto-escamotage, le sabotage de ce qui faisait jadis sa moelle substance. Il se retrouve dans le dénigrement de lui-même qui s’exprime symboliquement dans la mort du double. C’est un peu l’expérience troublante que vit William Wilson. Lorsque le héros de Poe élimine son homonyme, le fantastique lui permet de faire dans le sosie défiguré le constat impossible de sa propre mort : « – Tu as vaincu, et je succombe. Mais dorénavant tu es mort aussi, – mort au Monde, au Ciel et à l’Espérance ! En moi tu existais, – et vois dans ma mort, vois par cette image qui est la tienne, comme tu t’es radicalement assassiné toi-même ! » (Poe, 1974 [1839] : 97). C’est mot pour mot ce qui est arrivé à l’anti-héros leeien : en tenant ses promesses de fidélité, il s’est lui-même assassiné.

L’articulation logique entre sa vie dissolue et sa vie de saint est une incarnation de lui-même se dissolvant. Progressivement, il perd consistance, comme une outre percée se vidant peu à peu de son contenu. Sa présence au monde devient ténue, il se sent fondre : « les seules sensations qu’il éprouvait encore étaient celles que doit ressentir une mare qui lentement se vide, ou une congère de neige en train de fondre, ou encore un nuage qui se pose sur un rocher plat » (Lee dans G.-M., 2001 : 147). Don Juan fait l’expérience de la désincarnation. Il sent que son intériorité lui échappe, sa substance éthérée s’évapore : c’est le concept volatil de l’infidélité même qui va fuyant pour se désagréger dans l’air. Pour admettre cette métamorphose viscérale qui transforme Don Juan en homme fidèle, le personnage doit sortir de sa peau de chagrin, marcher à côté de ses pas, et recommencer une vie nouvelle en marge de lui-même.

De l’homme fatal à la femme fatale

Avant d’être fatal pour lui-même, Don Juan est fatal aux autres. Derrière le masque séduisant, se cache, nous l’avons vu, un être menaçant pour qui le rencontre. « Je suis un être bien fatal aux autres et à moi-même ; tout ce que je touche se brise ou se flétrit ; et ceux à qui je n’ôte pas la vie perdent la raison » disait le Don Juan d’Alexandre Dumas (Dumas, 2001 [1836] : 198). Dans le même ordre d’idée, le don juan leeien est porteur de désastre. Il emmène la mort avec lui dans son sillage. C’est un féminicide[xiii] qui fait retentir après lui les voix de femmes à l’agonie. A ses yeux, la mort d’un maître d’armes, celle d’un geôlier ou d’un mari sont des dommages collatéraux envisagés avec beaucoup de détachement : le meurtre est tout au plus pour Don Juan un mal nécessaire, et les pertes humaines, même lorsqu’elles jouent en sa défaveur – comme la mort de son ancien maître d’arme – sont un désagrément négligeable. En règle générale, le pouvoir de donner la mort participe même du plaisir qui mène à la conquête[xiv]. Ce frisson qui parcourt Don Juan, c’est celui que procure le traquenard machiavélique : « la joie féroce de l’attente, en compagnie d’une bande de vaillants assassins, de quelque fâcheux, père, frère ou mari » (Lee dans G.-M., 2001 : 126) promis à une mort imminente. Don Juan tue l’homme qui est un compétiteur encombrant, et la femme qu’il vampirise. Pourtant, il est intéressant de voir qu’à travers les figures féminines du récit leeien, la femme fatale prend le relai de l’homme fatal.

Avec la Vierge apparaît l’idée d’une femme préférée aux autres qui va inverser le rapport de séduction. Se profile alors l’idée d’une favorite, cette

“femme hors du commun qui arrête un temps ce vertige du nombre, qui fige la liste. Si sa présence témoigne d’un pouvoir viril et d’un pouvoir politique, elle représente aussi un certain pouvoir féminin. Savoir triompher de toute la cohorte des candidates, puis savoir faire durer cette emprise, quelle extraordinaire ascension pour une séductrice !” (Marnhac, 2002 : 62)

Dans la relation entre Don Juan et la Vierge, les rôles sont soudain permutés. N’est-ce pas Don Juan en somme sur lequel la Vierge exerce un certain pouvoir de séduction, de fascination, voire même de possession? Ainsi la Vierge est-elle cette femme favorite, être de pouvoir et créature létale. Comme la Vénus d’Ille (Mérimée : 1837), ou la défunte des Noces funèbres (2004) de Burton, elle n’admet pas qu’on lui passe la bague au doigt sans venir, au terme de l’échéance, réclamer son dû. Peut-être faudra-t-il voir en cette Madone aux sept poignards une femme dont l’abord est tranchant, tout comme l’Infante, cette femme au cimeterre. Toutes deux sont des femmes mortelles, des Méduse potentiellement viriles avec leurs lames affûtées. Leur ressemblance – si ce n’est leur identité – est accentuée dans la mesure où l’Infante s’exprime sans que ses lèvres ne semblent remuer. Comme la Vierge, elle a cette présence inquiétante de statue ni tout à fait immobile, ni tout à fait en mouvement. La déesse de marbre qui brille dans le jardin de Don Juan fait un écho discret aux femmes-statues du récit. L’Infante – et la Vierge à travers elle – apparaît comme la femme mortifère et castratrice, une Salomé[xv] qui réclame la tête de Don Juan, une Judith triomphale tenant à la main la tête d’Holopherne.

A la statue du Commandeur se substitue celle de la Vierge avec laquelle Don Juan a conclu un pacte malheureux. Les termes du contrat ont certes été respectés, mais il existait une clause secrète : Don Juan devait perdre la vie. La protection promise était morale et n’engageait pas la préservation d’une vie de mortel précaire. Le séducteur trompé, qui revient demander des comptes à la Madone, apparaît comme une version parodique du Christ crucifié qui demande à Dieu, incrédule, pourquoi il l’a abandonné. Don Juan n’a-t-il pas été dupé ? La Vierge aux sept poignards ne l’a-t-elle pas en définitive poignardé dans le dos ?

Il semble en définitive que la Madone a une fonction sur-moïque qui ramène le personnage livré à ses impulsions de ses incartades. C’est bien la femme qui donne à la fois la vengeance des poignards et le pardon de la Vierge qui est mise à l’honneur par le titre même de la nouvelle. A ce stade du récit, il reste de Don Juan le fantôme sans substance du séducteur compulsif qu’il fut, mais surtout l’esprit d’un saint en devenir.

III- Le rapport homme-femme : un équilibre précaire rétabli à la lettre

Homme, femme : des univers parallèles non-synchrones

Quels que soient leurs avatars, Don Juan et la femme existent toujours dans des mondes parallèles. Lorsque l’homme est fait de chair et d’os, la femme a la pâleur de l’albâtre, qu’elle soit entreposée au sein d’une église ou subrepticement aperçue dans le jardin de Don Juan. « Il alla au balcon et regarda par l’une des fenêtres. Là, une déesse de marbre brillait parmi les haies de myrtes et les cyprès du jardin dallé » (Lee dans G.-M., 2001 : 126). Le mouvement preste et leste de Don Juan est en butte à la rigidité marmoréenne. Il en va de même lors de la rencontre avec l’Infante qui tout au long de l’entretien conserve une « rigidité de statue » (Lee dans G.-M., 2001 : 139), au point qu’elle parle « sans que bouge un seul muscle de son visage » (Lee dans G.-M., 2001 : 142). Le fossé se creuse au sein de ce couple si dissemblant, entre prise de parole expressive et ventriloquie, entre un homme de son temps et une morte qui a existé trois siècles auparavant, entre un tempérament impétueux et la lenteur de rouages protocolaires grippés. Pour finir, lorsque Don Juan est fantôme se frayant un chemin dans la cohue, la femme est une spectatrice bien vivante jouissant du spectacle de la mort parmi la foule des badauds attroupés devant l’hôpital.

Cette impossibilité à exister dans un même univers donne lieu à des modalités de communication exceptionnelles. Lorsque Don Juan vient se recueillir devant l’idole, lui communique par le verbe et la Vierge par le geste, si imperceptible le mouvement soit-il. Lorsque Don Juan est soupirant, la femme est une Infante et le protocole interdit le libre échange entre les deux jeunes gens. L’étiquette complique à loisir le dialogue. C’est le jeu du téléphone arabe qui se met en place : l’Infante confie son message à la Duègne, qui le transmet au Chef des Eunuques, qui enfin le rapporte à Don Juan. Pour finir, le contact entre un Don Juan revenant et la curieuse attirée par l’odeur de la mort est celui d’un choc frontalier : Don Juan bouscule sans ménagement la mère et son enfant, comme il avait fait basculer la religieuse dans un puits. La coexistence de l’homme et de la femme les maintient toujours à bonne distance. Seule la sanctification finale fait fusionner leurs deux univers.

La récriture : un donjuanisme féministe

Nous avons parlé du fantastique en tant qu’il satisfaisait la fougue donjuanesque. En définitive, il sert tout aussi bien à dé-figurer le mythe. Le fantastique réside finalement dans toute l’ambiguïté d’un concept mis en lumière par la nouvelle, celui d’un fidèle donjuanesque, une notion forte au point d’écarteler l’oxymore entre les deux extrêmes qui le sous-tendent : la dévotion, le caractère sacré du serment, ont d’autant de prix qu’ils viennent d’un inconstant notoire sur lequel les nœuds de l’attachement n’ont d’ordinaire pas de prise. La « monotonie donjuanesque »[xvi] que définit Brunel tend dans la nouvelle de Vernon Lee vers une monogamie donjuanesque. Il y a une mise à mort de l’« épouseur à toutes mains » (Molière, 1994 [1665] : 23) – une expiation si l’on veut dans la métaphore conserver l’atmosphère religieuse. Don Juan est lui-même pris de vertige à prendre conscience qu’il est lié à une femme unique.

Avant d’être renouvelé, le Don Juan leeien est plongé au cœur de la décadence. Lorsqu’il reprend ses esprits, il est allongé dans une décharge publique, et son réveil ressemble au pénible retour au réel d’un ivrogne après une soirée d’excès :

“Cette confusion dans l’esprit du cavalier était excusable. Car, en ouvrant les yeux, il s’était trouvé étendu en un lieu extrêmement inattendu à cette heure-ci et en cette saison : à savoir sur un tas de vieilles briques et d’immondices à moitié envahi par les herbes folles […].” (Lee dans G.-M., 2001 : 144)

L’assimilation de l’homme aux déchets et à la souillure, le double sens du mot « ordure » ne peuvent qu’évoquer un traitement sarcastique de la figure du coureur de jupons. Comme dans La Mort qui faisait le trottoir (Montherlant, 1972 : 1020-2), où à deux reprises une ménagère déverse le contenu d’un pot de chambre sur la tête de Don Juan, comme dans La dernière nuit de Don Juan (1921) de Rostand où l’homme est transformé en guignol, le séducteur a perdu de sa superbe. Tous les personnages insultés réapparaissent pour constater son naufrage. Tous sont présents dans la foule qui se recueille devant son cadavre : l’homme d’église pour l’institution religieuse bafouée, la mère de famille[xvii] pour toutes ces femmes séduites puis repoussées. Ayant touché au plus bas – la cuvette où l’on se déleste des rebuts, les tréfonds de l’âme où la vilénie ne connaît plus de limites – Don Juan ne peut qu’aller vers l’élévation.

“Sous-tendu par le thème de la rédemption, le destin du monstre libertin se donne pour l’illustration de ce grand principe, fondement de la métaphysique romantique, selon lequel l’ascension procède du gouffre […]. La rédemption de Don Juan proposerait donc la vision prophétique d’un monde dans lequel le mal se résorberait dans le bien, exhibant dès lors la réconciliation des contraires chère aux romantiques.” (Ensenat dans Dumas, 2001 [1836] : XX)

Il s’ensuit une promotion fantastique : après l’Enfer et les bas-fonds de la déchéance, Don Juan se voit conférer l’auréole du saint. Don Juan devient un homme « éclairé ». Il est sublimé : l’ancien séducteur devient un parangon de vertu.

D’un genre littéraire à l’autre : une technique d’expression donjuanesque?

La mutabilité du genre caractérise la nouvelle. Certaines scènes empruntent au vaudevillesque ou à la farce : la nouvelle se dote d’un rebondissement moliéresque lorsque Don Juan envoie son missel à la tête de ses hommes de main. De même, le genre de la comédie s’impose à l’esprit lorsque Don Juan fait basculer la religieuse dans le puits, ou lorsque le prêtre assailli par l’esprit de Don Juan se propose de résoudre le problème en brûlant quelques sorcières (belle erreur de jugement, quand c’est justement un esprit misogyne qui le tourmente). Mais la nouvelle installe aussi un univers féerique lorsque Don Juan va retrouver l’Infante. Le château et ses habitants s’éveillent à son passage comme dans le conte de La Belle au Bois Dormant. Pourtant les descriptions de ce royaume nous invitent à l’exotisme, et à ce titre nous rapprochent moins d’un conte européen que du conte oriental des Mille et une nuits.

Lorsque Don Juan se réveille de sa décapitation comme d’un mauvais rêve, ce basculement semble un retour à un univers réaliste – on pourrait même dire dans l’hyperréalisme pour ce Don Juan qui se réveille sur le tas de déchets abandonné par une ville à sa périphérie. Sur les lieux mêmes où le fantastique avait pris et flambé, comme le feu sous le chaudron du magicien Baruch, la tension fantastique est au petit matin retombée, consumée comme un tas de cendres refroidies, à peine fumantes encore. Mais ce pas en arrière du fantastique à travers le monologue intérieur d’un Don Juan qui fulmine, croyant qu’on l’a drogué, n’est qu’un leurre. C’est plutôt un point d’orgue, une respiration dans un cheminement qui va prendre l’élan pour gravir une nouvelle pente fantastique : l’adrénaline coule de nouveau dans le récit lorsque Don Juan se retrouve face à face avec lui-même… mort.

Néanmoins, lorsque dans l’église le fantôme du séducteur s’élève au côté de la Vierge, tel le Christ à la droite du Saint-Père, Don Juan, fasciné par son nouvel état d’âme, ne s’étonne plus du tour que prennent les événements : « tandis que Don Juan traversait en flottant la coupole de l’église, son cœur se gonfla soudain de la certitude d’être extraordinairement vertueux » (Lee dans G.-M., 2001 : 148). Le récit oscille alors à la lisière entre le fantastique et le réalisme merveilleux.

La mise en abîme permet d’aller un pas plus loin. Les hommes d’Eglise authentifient le récit sur Don Juan, jaugeant de la force persuasive d’un récit qui serait « fort apte à étendre la gloire de [la] Sainte Eglise » (Lee dans G.-M., 2001 : 149). Racontée par l’archiprêtre Morales, dont le prénom n’est évidemment pas anodin, l’histoire est accueillie avec enthousiasme par le poète Calderon. Selon l’écrivain, il ne lui manque plus qu’à être « présentée sous forme de pièce et ornée des grâces du style et des fleurs de la rhétorique » (Lee dans G.-M., 2001 : 149). Un narrateur excessivement humble s’acquittera de cette tâche, qui « entrepr[end] de s’efforcer de conter, de sa modeste et fort indigne plume, l’histoire véridique et très morale de Don Juan et de la Madone aux Sept Poignards » (Lee dans G.-M., 2001 : 149). Sur ces mots s’achève le récit. L’histoire gagne en lettres de noblesse par le moteur de l’autojustification, validée par l’instance religieuse, reconnue par un grand nom de la poésie, séduisante aux yeux d’un écrivain anonyme. De main en main, le récit s’autovalide, donnant en l’espace de quelques lignes de l’épaisseur à son nouveau mythe.

Un récit fantastique, merveilleux, une fable moralisante, à mi-chemin entre le conte européen et le conte oriental, un texte hagiographique, un récit à valeur de parabole, une satire sociale. Tout se passe comme si le récit, une fois un genre exploré, partait à la découverte du suivant, refusant de se ranger, de s’enfermer dans le tiroir de la fidélité générique. Doit-on y voir un esprit de conquête des genres et de papillonnement typiquement donjuanesque ? Est-ce à dire que l’énergie du séducteur communique son mouvement impulsif (et compulsif) au texte, à la plume qui passe frénétiquement d’un genre à l’autre ? N’est-il pas alors possible de voir en Vernon Lee, cette auteure dont la plume caresse aussi bien les productions théoriques que les ouvrages de fiction, une don juane littéraire ? Et pourtant, comme cet engagement final de Don Juan pour une femme unique, la nouvelle se veut avant tout dévoué à une seule : la littérature de fiction.

Nous pouvons conclure que dans « La Vierge aux Sept Poignards », le protagoniste affiche les traits attendus d’un homme sans principes, n’ayant de foi ni de loi que celles du défi. Le fantastique participe de l’essence donjuanesque puisque même la radicale coupure de la mort ne saurait endiguer les désirs inflationnistes de Don Juan. Le personnage leeien n’hérite pas du séducteur que le nom. C’est bien un Don Juan dans les faits : Seigneur mal famé, homme à femmes enflammé par les cycles du désir.

Nous avons indiqué dans une seconde partie que le motif de la souffrance irrigue la nouvelle. Ces poignards qui fendent le corps de la Madone semblent faire allusion au geste désespéré de femmes (dés)abusées. Le cœur de la femme est comme la cible d’un jeu de fléchettes pour le séducteur. Mais l’homme fatal cède finalement sa place à la femme fatale : quand vient l’heure, la Vierge aux sept poignards sait se faire amazone. La femme – qu’elle soit Infante, Vierge, ou auteure – est une meurtrière qui élimine le séducteur. L’insulte faite au sang royal, le trait de crayon décapitent – ici un personnage, là un comportement machiste.

A la fin de la nouvelle c’est le fantôme de Don Juan qui est mis en face de son cadavre. Aux yeux de Brunel, immanquablement, au terme de ses pérégrinations, Don Juan « cède au poids, il retombe comme un jouet d’enfant dévalué, incapable d’essor et dépourvu de magie icarienne » (Brunel, 1988 : 487). La nouvelle de Vernon Lee fait figure d’exception puisque ce regain de légèreté est rendu possible : Don Juan sera finalement béatifié. Par la mise en abîme littéraire, la nouvelle identité de Don Juan est accréditée par le corps ecclésiastique et l’instance poétique, de sorte que Don Juan devient en l’espace d’un texte une référence en matière de fidélité, comme s’il ouvrait le chapitre d’une nouvelle tradition littéraire.

Pour finir, ajoutons que la mise à mort de Don Juan semble procéder d’un même mécanisme que le déchaînement de la violence collective sur la place publique. Il y a un amalgame implicite entre le rite sacrificiel de la tauromachie et le propre sang de Don Juan éclaboussant les ruelles de la ville comme si la Bête devait être mise à mort par la communauté, comme si sur le séducteur devait se déverser l’opprobre, l’anathème, la vindicte générale. L’exécution publique sur la place de Bibrambla a pareille fonction cathartique. Baruch prévient Don Juan qu’il risque de figurer au gibet de potence, pendu pour ses audaces. A travers cette menace de lynchage, puis l’immolation effective, Don Juan ne fait-il pas l’objet de représailles féministes en tant que victime primordiale? L’enjeu est de contrecarrer le déchaînement de la violence essentielle (en l’occurrence misogyne) par une forme de violence sacrificielle (littéraire) pour reprendre la terminologie girardienne. Le texte met à mal l’idée du prêtre qui veut museler l’esprit donjuanesque en répétant le procès de Salem : « il est grand temps que nous brûlions quelques sorcières » (Lee dans G.-M., 2001 : 146) suggère-t-il. Il s’agit cette fois de choisir comme bouc émissaire de la violence l’homme-charmeur en lieu et place de la femme-ensorceleuse. Suite à cette expi(r)ation du séducteur, Don Juan est sublimé : on retrouve ici l’ambivalence du pharmakos, traîné dans la fange et divinisé. La violence fondatrice prend effet. « Si la victime émissaire peut seule interrompre le processus de déstructuration, elle est à l’origine de toute structuration » (Girard, 1995 : 140-1). Ainsi Vernon Lee sacrifie un personnage sur l’autel du respect de l’être. Elle ne procède pas qu’au sacrifice, mais à une palingénésie. La femme est alors celle par qui l’homme renaît : Vierge qui élève un ancien pécheur au rang des saints et enfante ainsi un homme neuf, auteure qui opère un glissement d’un mythe vers l’autre.

De la pérennité du type à la variété du cas, le héros leeien est un Don Juan ex-centrique, qui intervient dans une période où, déjà, le personnage est en crise[xviii]. Dès la deuxième moitié du XIXème siècle, Don Juan donne les premiers signes de faiblesse. « Décidément, le mythe vieillit » observe Christian Biet, avant de s’interroger : « Don Juan est-il mort? » (Biet, 1998 : 60). Ainsi dans Don Juan de Marco (1995) de Leven, un héros décalé – qui déclare être le Don Juan du XVIIème siècle en plein cœur d’une Amérique ultra-moderne – est interné dans un hôpital psychiatrique. Dans Don Juan 73 (1973) de Vadim c’est l’héroïne, Jeanne, qui s’accapare l’héritage donjuanesque, réduisant les hommes qu’elle abandonne à la misère psychologique ou les acculant au suicide. Au travers de quatre siècles d’histoire, Don Juan, entré dans la littérature avec Tirso de Molina en 1630, fait d’innombrables apparitions et toujours se renouvelle. Ses contours sont fuyants comme un séducteur se lançant à la poursuite de son prochain objectif, mais jamais ses ressources ne s’épuisent. Aussi vrai que le galant part à la conquête des femmes, Don Juan, de l’une à l’autre de ses multiples incarnations, part à la conquête de lui-même.

Dans la nouvelle de Vernon Lee, c’est un peu comme si le bourreau de son cimeterre et la femme de ses poignards défiguraient Don Juan. Cette défiguration passe par une brutale décapitation mais aussi par la déconstruction d’un mythe et son dépassement. La toute-puissance de l’écriture a l’envergure et l’omnipotence d’un pouvoir religieux, capable de transformation miraculeuse, ici d’expurger le séducteur légendaire de ses errances premières. Désormais, Don Juan est un personnage banni du champ de la sexualité. A une forme d’immortalisation religieuse, la canonisation, répond une autre forme de fixation, littéraire celle-ci, le mythe du séducteur reconverti. Et voici l’épitaphe que la postérité gardera en mémoire, moqueuse comme une vérité de La Palice.

Don Juan fut un homme exemplairement fidèle.


[i] Pour une typologie détaillée du personnage du séducteur, qu’il s’agisse du libertin concupiscent, de l’opportuniste nécessiteux, du dandy dédaigneux, du vieux beau incorrigible, du fade bellâtre, des modernes  dragueurs, tombeurs et latin-lovers, des séducteurs de masses comme la star ou le sex-symbol, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage d’Anne de Marnhac, 2002, Séducteurs et séductrices : de Casanova à Lolita, Editions de La Martinière, Paris.

[ii] Casanova dont Félicien Marceau prend bien soin de nous signaler dans un ouvrage biographique que s’il séduit, il n’en est pas pour autant un séducteur au plein sens du terme : « [c]e n’est pas du tout comme Valmont, comme don Juan, un homme qui se borne aux femmes. Tous les plaisirs existent pour lui. Ce n’est pas un séducteur, c’est un jouisseur. Bien sûr, il lui arrive fréquemment de séduire. Dès lors, si les mots veulent dire quelque chose, c’est un séducteur. Mais le séducteur véritable aime davantage la séduction que les femmes. Il en aime les détours, les ruses, les patiences. Casanova, point. Il ne prend la peine de séduire que lorsqu’il n’y a pas moyen de faire autrement », Félicien Marceau, 1985, Casanova ou L’Anti-don Juan, Gallimard, pp. 115-16.

[iii] Il en va « [a]insi de don Juan et de Casanova, à genoux devant la même idole et non pareils cependant, frères ennemis, contradictoires. Tout en eux se ressemble et s’oppose. Ils sont collés l’un à l’autre comme la négation et l’affirmation, comme l’envers et l’endroit, comme le plafond et le plancher. C’est à la même heure que les clochers de Paris et d’Auckland sonnent douze coups. Mais il fait nuit d’un côté, jour de l’autre », op. cit., p. 146.

[iv] Pour ce qui concerne la typographie, nous userons des deux majuscules au nom de « Don Juan » lorsque nous nous référons à l’une ou l’autre des représentations du personnage littéraire, les lettres minuscules ne se référant qu’à l’essence donjuanesque faite homme (l’on pourra dire de Bel-Ami ou de Valmont par exemple que ce sont des dons juans au plein sens du terme). Notons que seul le Don Juan de Molière procède à la modification orthographique « Dom Juan ».

[v] Des ouvrages dont Christian Biet recense les représentations majeures dans son ouvrage Don Juan, Mille et trois récits d’un mythe, Gallimard, Coll. « Découvertes », 1998. On dénombrerait pas moins de 3081 Don Juan selon le recensement d’Armand Edward Singer publié en 1954 et cité dans le Dictionnaire de Don Juan, Pierre Brunel , 1999, Editions Robert Laffont, Paris, avant-propos, p. I.

[vi] Cet écart minimal entre le vouloir et le faire, entre la volonté et son accomplissement a été analysée par Benito Pelegrin dans son rapport à l’instantanéité : « Don Juan tend à réduire de telle sorte la distance entre le projet et son exécution qu’il y a en lui une visée de rétrécissement violent de l’espace entre début et fin, entre passé et futur […] qui donne l’impression de le situer en permanence, libéré d’un passé et d’un futur qui ne touchent pas à l’essence de l’être, dans cette intuition de l’instant chère à Bachelard », Don Juan ou Le Baiseur de Séville, Tirso de Molina, titre or. El Burlado de Sevilla, trad. Benito Pelegrin, 1993, Editions de l’Aube/Théâtre Gyptis, p. 221.

[vii] C’est le cas de la traduction de Pierre Guenoun (1991, L’Abuseur de Séville, Aubier, Coll. « Domaine hispanique bilingue, Paris). La traduction de Benito Pelegrin joue sur la polysémie et privilégie l’expression du « baiseur de Séville » (Don Juan ou Le Baiseur de Séville, op. cit.).

[viii] Dans le roman, même la figure asexuée de l’ange se laisse prendre au charme donjuanesque, jusqu’à laisser ses ailes au vestiaire céleste et demander la réincarnation en femme (« j’étais un ange du Seigneur ! et, par amour, j’ai perdu mon auréole pour toi » se lamente Marthe dans Alexandre Dumas, 2001, Don Juan de Maraňa, Phénix Editions, annexes ili).

[ix] Dans L’Antilégende, Don Juan, sorte de méta-personnage émancipé, se veut self-made man du monde fictionnel et renie jusqu’à l’être démiurge qui enfante la créature de papier, à savoir l’auteur ou les auteurs à qui il doit d’exister : « Pas un livre ne me retiendra, pas une ligne. Je suis un personnage sans Auteur. Nul ne pourra venir et dire : ‘Cet homme, je l’ai baptisé de ma sueur et de mon inspiration ; il est ma chose et ma créature ; j’ai sur lui tout pouvoir.’ Je n’accepte qu’un seul pouvoir, qu’un seul maître : ma passion pour les femmes », Fabien Clavel, 2005, L’Antilégende, Mnémos, Coll. « Icares », p. 346.

[x] « L’homme absurde est celui qui ne se sépare pas du temps. Don Juan ne pense pas à ‘collectionner’ les femmes. Il en épuise le nombre et avec elle ses chances de vie » (p.102-3). Ainsi, « [l]’homme absurde ne peut que tout épuiser, et s’épuiser. L’absurde est sa tension la plus extrême, celle qu’il maintient constamment d’un effort solitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte au jour le jour, il témoigne de sa seule vérité qui est le défi » (p. 80), Albert Camus, 1942, Le Mythe de Sisyphe, Editions Gallimard, Coll. « Folio Essais ».

[xi] Nous nous référons ici à la traduction de Sophie Geoffroy-Menoux, par contraste avec celle de Michel Chrestien par exemple, qui dit ces têtes « couronnées de lauriers », Les Epées de l’effroi, op. cit., p.181.

[xii] « The Genius Loci, like all the worthy divinities, is of the substance of our heart and mind, a spiritual reality. And as for visible embodiment, why that is the place itself », Vernon Lee, 1931, Genius Loci : Notes on Places, New York : John Lane Company, nous traduisons.

[xiii] Du serial séducteur au serial killer, Don Juan devient à la lettre un meurtrier de femmes et hérite du titre de féminicide dans Fabien Clavel, 2005, L’Antilégende, Mnemos, p. 37.

[xiv] Ainsi avec le Don Juan russe la mort du Commandeur est réduite à l’anodin de l’euphémisme : « il s’enferra sur mon épée, et il est mort, vrai papillon sur une épingle », Le Convive de pierre, trad. Henri Thomas, 1947, titre or. La Roussalka, Seuil, Edition Bilingue, p. 61.

[xv] Sur le postulat que ces deux femmes renvoient à une Vierge-Hérodiade et à une Princesse-Salomé, voir « Time and Art in Vernon Lee’s ‘Prince Alberic and the Snake Lady’ and ‘The Virgin of the Seven Daggers’ », Stéphanie Guerdin, 1998, mémoire de maîtrise dirigé par Sophie Geoffroy-Menoux, Université de la Réunion, pp. 133-4.

[xvi] « On pourrait dire : ce qui ne change pas en Don Juan, c’est son goût du changement. Il y a même une monotonie donjuanesque », Dictionnaire des mythes littéraires, op. cit., p. 487.

[xvii] Le personnage s’oppose au Don Juan d’autant plus fortement que, comme le note Charles Minguet, « le Don Juan traditionnel n’a pas d’enfant. Il peut renaître de ses cendres, chaque siècle peut forger un nouveau Don Juan, mais Don Juan ne laisse rien après lui », Charles Minguet, 1977, Don Juan, Editions hispaniques, Coll. « Thèses, Mémoires et Travaux », Paris, p. 13.

[xviii] Anne de Marnhac parle des « fatigues de Don Juan » : « [q]u’est devenu Don Juan passé le cap du romantisme? Exit le grand seigneur flamboyant qui défiait la statue de pierre ; exit le maître allègre d’une fête italienne : Don Juan n’est plus que l’ombre de lui-même. Le voici vieux, malade, impuissant, lassé de son passé, démystifié par les écrivains. Le superbe héros de l’opéra a quitté la scène lyrique pour promener sa silhouette décrépite dans des sonnets satiriques ou des nouvelles. A la fin du siècle, sa décadence le sépare de ce qui faisait de lui un mythe, le défi à Dieu, le jeu splendide avec l’enfer […] C’est que le pouvoir a changé de camp ; ce sont désormais les femmes qui mènent la danse, qui le poursuivent et l’assaillent », Séducteurs et séductrices : de Casanova à Lolita, op. cit., p. 98.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

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Articles

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– Geoffroy-Menoux, Sophie, 2003, « Images, textes, voix : les modalités de leur co-présence, leurs fonctions respectives, leur interaction dans la création littéraire : le cas de Vernon Lee », Langues, littératures et cultures étrangères : champs épistémologiques, n°19, Université de la Réunion, Travaux et Documents.

– Guerdin, Stéphanie, 1998, « Time and Art in Vernon Lee’s ‘Prince Alberic and the Snake Lady’ and ‘The Virgin of the Seven Daggers’ », mémoire de maîtrise dirigé par Sophie Geoffroy-Menoux, Université de la Réunion.

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Filmographie

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– Chereau, Patrice, 2007, La Reine Margot, Fox Pathé Europa.

– Leven, Jeremy, 2001, Don Juan de Marco, Entertainment in Video.

– Vadim, Roger, 2001, Don Juan 73, Home Vision Entertainment.

– Weber, Jacques, 2005, Don Juan, Koch Lorber Films.

2 Responses to Le Don Juan fidèle dans “La Vierge aux sept poignards” de Vernon Lee, par Alice Mussard

  1. Dp furie says:

    Sujet follement cultivant !!!

  2. Pingback: Le Don Juan fidèle dans “La Vierge aux sept poignards” de Vernon Lee – The Sibyl

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