Chères lectrices, chers lecteurs,
les Droits des Femmes sont à l’honneur aujourd’hui, 8 mars. Dans le monde entier, de Paris à Florence, de Kiev, à Kaboul, New York, Londres, Tripoli ou Beyrouth, Varsovie ou Dublin… on célèbre les femmes et leurs droits, droits acquis souvent de haute lutte, conservés grâce à la vigilance de toutes et tous, parfois fragiles, menacés et à (re)conquérir.
Dans les extraits ci-dessous de lettres de Vernon Lee (à paraître dans l’édition des Selected Letters of Vernon Lee aux éditions Routledge sous la direction de Sophie Geoffroy, avec Amanda Gagel), se dessine le portrait de 2 femmes fortes et reconnues pour leurs talents respectifs, ainsi qu’un autoportrait de l’épistolière elle-même:
“Je me rends compte de parler en ce moment de questions qui me seront toujours des énigmes ; je suis, paraît-il, un specimen, plus ou moins réussi de ce fameux troisième sexe auquel l’avenir offre tant de besogne et si peu de considération; et j’admets la possibilité d’un manque total de sentiment et de pudeur dans toutes mes notions, si abstraites sur ce que votre langue appelle amour. Là-dessus je déclare mon incompétence totale. Mais, j’ai des idées, très nettes et très bien fondées sur ce qui constitue l’âme essentielle de certains êtres, le besoin, la passion, faisant leur force ou leur tourment, d’être tout dans la vie d’un autre être, de devenir la clé de voûte qui porte tout.” (Vernon Lee à Augustine Bulteau, Florence, 29 janvier 1904)
Dans les lettres suivantes, Vernon Lee défend son amie, la grande compositrice britannique et ardente défenderesse des droits des femmes, Dame Ethel Smyth (1858-1944), face aux critiques d’une autre amie, très proche: la femme de lettres, journaliste et salonnière Augustine Bulteau (1860-1922), “Toche” pour ses amis, qui publie sous différents pseudonymes (“Foemina”, “Jacque Vontade”, “Cleg”).



Ethel Smyth adaptera le roman de Vernon Lee Penelope Brandling en un opéra intitulé Les Naufrageurs (The Wreckers), sur un livret de Harry Brewster et créé en 1906, et qui fut son plus grand succès. C’est à Augustine Bulteau que Vernon Lee offrit le manuscrit, relié, de son roman. On doit aussi à Ethel Smyth l’hymne suffragiste The March of the Women (La Marche des Femmes) en 1910, sur des paroles de Cicely Hamilton.
- Vernon Lee à Augustine Bulteau, Frimley, Angleterre, 20 août 1903:
“L’autre soir, chez la Ranee, Ethel s’est ouverte sur cela, j’ai compris tout ce qu’elle a enduré, souffert pour obtenir qu’on donnât son Wald à Londres; (…) On perd un peu de dignité apparente à devoir se faufiler, s’avancer à coups de coudes ; mais lutter pour son travail, pour ce qu’on croit pouvoir donner, au fond, c’est beau, beaucoup plus beau qu’avoir peur du contact comme moi ! (…) Instable, inconstante, irresponsable, sans discrétion ni tact, oui. Mais foncièrement a good sort. . . . Dans notre société toute masculine (la petite Anglaise désire plaire à ses frères, n’être pas dédaignée par eux, traitée de muff) une femme peut exercer une certaine séduction sans être ni jeune ni jolie. Le fait de bien monter à cheval (to go straight dans les grandes chasses), d’être très fort au golf, au hockey, au tennis même, de s’en aller à minuit en bicyclette sur des chemins glissants, constitue un prestige à nos yeux. (…) Au fond l’Anglais a le dédain de la femme féminine ; dans ce pays ici, où les hommes ont en partage la beauté et l’élégance, tout le monde aspire aux qualités masculines, et les aime. Vous, Toche, vous êtes un peu une Anglaise en cela ; et les Anglais vous aiment parce que, Dieu merci, vous n’êtes pas très femme ! (…) Sa fréquentation, qui me fait toujours plaisir au moment même, me laisse toujours un peu déprimée. J’avoue à ma honte que j’en veux à cette femme d’avoir plus d’ardeur, d’énergie, de générosité que moi, et surtout de se faire aimer davantage. À côté d’elle je me sens petite, molle, et de mauvaise foi, sans flamme ni puissance –un peu–pardonnez-moi la grossièreté de l’expression–un peu eunuque, comprenez-vous ?” (Vernon Lee, lettre à Augustine Bulteau, Frimley (Angleterre), 20 août 1903, Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits, Paris)
- Vernon Lee à Augustine Bulteau, Milford-on-Sea, Angleterre, 28 août 1903:
“Vous ne voulez donc pas comprendre le fond de simplicité, de bonhomie, qu’il y a n dans le caractère anglais. Nous sommes des enfants –des enfants mâles, oui ; mais nous avons l’habitude de nous gifler comme des school boys (to spar) et de nous emparer de tout ce qui nous tombe sous la main –tabourets, coussins, livres, opinions, théories etc. pour nous livrer à ces bearfights qui nous entretiennent le sang en bon ordre –sans le fiel– le fiel de dénigrement, dont vous autres civilisés semblez parfois souffrir. (…)
Très certainement elle (Ethel Smyth) est mon amie. Voilà dix ans qu’elle se montre avec moi loyale, fidèle, et même tendre. Ces derniers temps surtout elle a eu avec moi des façons de frère aîné qui m’ont beaucoup touchée. Et c’est la seule femme, ainsi que je vous l’ai dit à Rome qui me donne la sensation d’être de mon espèce ; nous avons des points de contact, des façons d’entendre la vie qui dépendent de ce que nous sommes des confrères, des camarades (…) il est certain que les amitiés très grandes entre femmes ne correspondent à rien que l’esprit masculin puisse concevoir sans mauvais soupçons.” (Vernon Lee, lettre à Augustine Bulteau, Milford-on-Sea (Angleterre), 28 août 1903, Bibliothèque Nationale de France, Manuscrits, Paris)
Nos pensées en ces heures sombres vont à toutes celles, tous ceux qui luttent pour leur liberté, qui est aussi la nôtre. Etres humains de tous les pays, unissons-nous contre la guerre et la barbarie!